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Lan Yu
5 janvier 2023

Festin nu

- Bao !

William Burroughs est le roi des junkies ! C'est un personnage flamboyant et controversé !

- Il fait quoi ?

- Il révolutionne la littérature !

- Comment ?

- Il invente une écriture iconoclaste !

- Ca veut dire quoi iconoclaste ?

- Il possède une attitude hostile vis-à-vis des interdits. Il réfute toute croyance qui lui est imposée. Il s'attaque aux valeurs intouchables !

- ...

- Il sort un chef d'œuvre !

- Ça s'appelle comment ?

- Le Festin nu.

- ...

- William Burroughs possède une personnalité étrange. Les hiéroglyphes le passionnent.

- Pourquoi ?

- Il ne les trouve pas représentatifs d'une civilisation disparue. Il croit qu'ils sont dangereux. Étudier un hiéroglyphe c'est comme observer une arme pour en comprendre le fonctionnement. Tels un fusil ou un pistolet.

Regarder un hiéroglyphe c'est observer comment se constitue la forme au sein de l'écriture. Comment détecter une force qui s'évapore.

William Burroughs n'aime pas ses personnages.

- Pourquoi ?

- Ça comporte un risque. Quand un écrivain se prend pour un de ses personnages il se perd.

- Kun ! C'est quoi un écrivain ?

- Un capteur. Une machine à enregistrer ce qui passe. Un magnéto vivant. L'écriture constitue une bande magnétique. Au fil du réel. Sur laquelle se télescopent des voix inconnues. Ces dernières proviennent de l'au-delà.

Pour Burroughs la plus belle écriture c'est celle que l'on entend sur un magnétophone. Il n'y a plus qu'à la retranscrire sur du papier avec une machine à écrire.

- Ça vient d'où ?

- Depuis le début. William Burroughs s'intéresse au phénomène des voix qui sont captées sur des bandes vierges. Elles viennent de nulle part.

- Qui dit ça ?

- Un chercheur. Il est le seul à oser le faire.

- Il s'appelle comment ?

- Konstantins Raudive. Il en parle dans son ouvrage Breakthrough. Dans ce phénomène de voix que l'on entend sans enregistrement William Burroughs y voit un symbole. Pour lui c'est un moyen d'être en communication avec la poésie désincarnée de Jack Kerouac.

Ou de comprendre la signification des cut-ups.

- C'est quoi les cut-ups ?

- C'est une technique littéraire qui consiste à découper des bouts de phrases sur des journaux et à les éparpiller sur le sol. Tu les rassembles pour créer un nouveau texte.

Bao ! Il y a autre chose !

- Quoi ?

- Le cut-up possède un objectif. Décourager la littérature d'intention. L'écriture que tu programmes.

Dans une phrase tu injectes le hasard. Ça donne des couleurs différentes aux mots. Une autre signification.

Pour William Burroughs les écrivains travaillent avec les mots comme les peintres travaillent avec des couleurs.

D'où viennent ces mots ? Ils proviennent de plusieurs sources. De conversations entendues à plusieurs reprises. De films ou d'émissions de radio. De journaux ou de magazines. D'autres écrivains. Une phrase peut te venir à l'esprit après avoir lu une vieille histoire dans un magazine de concierge.

William Burroughs écrit ça dans un essai qui à lui seul résume sa façon de penser.

- C'est quoi ?

- " Les Voleurs ". William Burroughs est un voleur en soi. Comme Jean Genet avant lui. C'est pour ça qu'il se réclame de ce dernier.

William Burroughs est un rescapé.

- Un rescapé de quoi ?

- De bonne famille ! Même si celle-ci est à moitié ruinée. C'est un décalé absolu. Un original sorti de nulle part. Il s'habille comme un homme d'affaires. En costume et cravate. Il s'appuie sur une canne.

- Pourquoi une canne ?

- Pour donner le change. Tromper l'adversaire.

- Il ressemble à quoi ?

- Il est grand. Anguleux. Austère. Il se sert de son accoutrement pour échapper aux investigations de la police. Il n'existe pas de personnage plus malsain et plus infréquentable que lui.

- Pourquoi ?

- Il aime les armes à feu. Il est marié. Il est gay. Héroïnomane. Il s'inocule lui-même la peste pour tester ses propres limites. La drogue lui permet d'aller jusqu'aux confins du danger. Il considère qu'elle est une arme maniée par les autorités pour contrôler la rue. Pour manipuler les gens.

Pour lui les autorités endiguent toute tentative révolutionnaire.

Il veut se montrer plus fort qu'une quelconque tentative de contrôle sur lui.

Il se considère comme un junky de laboratoire. Un décalé à l'excès étudié. Ce qui le fait vibrer c'est de savoir jusqu'où il peut contrôler les évènements.

C'est comme un virus. Il recherche le hasard et le risque. Il se sert de ça pour construire son œuvre.

" Le Festin nu " est son œuvre maîtresse. Sais-tu dans quelles circonstances elle a été écrite ?

- Non !

- Elle a pris naissance dans le quartier indigène de Tanger.

- C'est où Tanger ?

- Au Maroc. À l'extrémité de Gibraltar.

- Il l'a écrite quand ?

- Dans les années 1950. Il n'est pas en état d'écrire. Il la rédige dans une phase d'hallucination. Dans un cauchemar désenchanté. Lorsqu'il s'endort il oublie tout. Son récit s'organise de façon aléatoire. Les chapitres se mélangent et se retrouvent assemblés à la hâte ! Ils prennent forme sur de grandes feuilles disposées sur le sol de son appartement. Le " Festin nu " C'est une succession :

De drôleries. De bouffonneries. D'horreurs. De paranoïas.

Chaque jour tu découvres des opportunités de rire ou d'être horrifié. Son récit ne comporte aucune explication rationnelle. C'est un cauchemar vivant doublé d'une descente aux enfers.

Toutes les actions décrites ont lieu dans l'esprit d'un junkie. Le Festin nu ça destructure le roman pour le renouveler. Ça donne chair aux divagations issues de la morphine. Ça oscille entre la science-fiction et la tragédie. Ça fait état de modifications corporelles. D'orgies. De complots et de créatures surnaturelles.

- Il s'y prend comment pour écrire tout ça ?

- Il ingurgite 60 capsules de morphine par jour. Il ne sort pas de sa chambre. Elle constitue son univers. Il l'appelle Interzone ! C'est son labyrinthe mental.

Bao ! Le meilleur moyen d'exercer le contrôle sur sa vie c'est de la contrôler par l'écriture !

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