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Lan Yu
7 janvier 2023

Nu

Je suis nu. Face à la glace. Je suis sans habits. Sans vêtements. Je suis nu à la face du monde. Fragile. Vulnérable. Je suis à la vue de tous les regards. On peut me mater. Comme on veut. Ça ne me dérange pas. À vrai dire ça me laisse indifférent. Je sens les regards qui glissent sur ma peau. Comme la rosée du matin.

Personne ne peut voir ce que je pense. D'ailleurs qui cela intéresserait-il ?

Mon corps vacille. Je me recroqueville sur moi-même. Je me cambre. Honte. Malaise. Honte de moi même.

Je rentre chez moi. Je glisse la clé dans la serrure. Elle n'en finit pas de grincer. Je reste devant ma porte. Hébété. Je regarde la serrure. J'entre ou j'entre pas chez moi ? Je me décide à entrer. Dans cette piaule pourrie.

À peine entré je me jette sur le matelas.

Dans le lit je me tourne. Vers la radio. J'appuie sur ON.

Je cherche un refuge dans mes draps qui n'ont plus leur couleur d'origine tellement ils sont sales. Ils sont devenus atones. Sans couleur.

Sommeil comateux.

Le jour se lève. Enfin. Un nouveau jour. Je chôme dans mon lit. Je me lève très tard. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma journée. Je suis livré à moi même. Une fois de plus. À mon ennui. Il va falloir trouver une occupation. Être utile à la société.

Je suis oisif mais j'ai pas envie de glander. Pas aujourd'hui. En particulier. Pourquoi ? Je n'en sais rien.

Je ne me supporte pas. J'allume la télé. Je réfléchis. J'ai de l'ambition. Je veux m'en persuader. Je vois ceux qui réussissent. Qui le proclament. Haut et fort. Un peu trop fort. Ils en sont fiers. Comment ont-ils fait pour réussir ? Combien en ont ils écrasés sur leur passage ? Ils possèdent de l'entregent. Ils louvoient. Il y en a qui travaillent à la force du poignet. Ont-ils les mêmes chances de réussite ?

Les autres ? Qui sont-ils les autres ?

Les arrivistes. Ils savent parler. Ce sont de beaux parleurs. Des hâbleurs. Tout dans la forme. Ils se mettent en valeur. Ils se valorisent. Ils se mettent en exergue. Ils s'entourent des gens qui comptent. Dans la vie. Peut-être ceux qui réussissent sont-ils plus beaux que les autres ? À creuser.

Le problème lorsque j'éteins le poste de télé c'est que je suis incapable de me souvenir de ce qui a été dit. Le surplus d'informations me tourne la tête. J'ai le cerveau saturé. Ma tête va exploser. Mes neurones imposent.

Je n'arrive plus à assimiler quoi que ce soit.

Les discours sonnent creux. Tous.

Lorsqu'ils parlent à la télé je vois leurs lèvres qui profèrent des mots que je ne comprends pas. Des syllabes. Des onomatopées vides de sens. Des borborygmes avides de sang.

Je frissonne. Peu importe. C'est l'humidité. C'est la pluie.

J'ai froid. Il n'y a pas de chauffage dans ma piaule. Pas d'argent pour ça. Pas assez.

Ma chambre. Mon unique pièce. Mon quant à moi.

Mon univers.

Retour à 180 degrés.

J'en ai rien à cirer. De tout et de rien. De rien et de tout.

Je me caille. Grave. Je me lève. À nouveau je me sens oisif. Désœuvré. Je m'ennuie de moi même.

Je me dirige vers la fenêtre. J'écarte le rideau. Discrètement. Toujours. Je n'aime pas me faire remarquer.

J'aime voir sans me faire voir.

Je regarde. J'essaye de voir ce qui se passe chez le voisin. Ce qui se trame. Une histoire. Une hérédité. Qui revient à la surface.

Un drame. Une fête. Une réunion de famille. Comment vivent les autres. Je ne le sais pas. Je l'ignore.

Se persuader que l'on possède soi même une vie. Sa propre vie. Une existence.

Je ne vois rien. Tout le monde est chez soi. Dans son incognito. Chacun vit son intimité en se foutant de celle des autres.

Il neige à gros flocons. C'est inhabituel. Tout à l'heure il faisait soleil. Il neige toute la journée.

Je ne vois pas le jour passer. Une énième fois.

Deuxième journée enfermé. Sans sortir. Je me mets à ruminer. C'est pas bon.

Je me mets à souffler sur la vitre. Mon souffle chaud créé la buée sur la vitre. Je crée un dessin avec le bout des doigts. La buée obstrue ma vision du dehors.

La lueur du soleil m'est étrangère.

Elle me devient indifférente.

Au risque de lasser je le redis.

Ma vie n'est qu'artifice. Je m'ennuie de mon moi. Celui-ci m'attriste.

Perte de temps. Pour qui ? Pour les autres ? Pas pour moi.

Je suis un accident terrestre. Un ovni en mal de déracinement. D'extraction. Un aparté cosmique. Une échappée rebelle du Cosmos. De la lune. De Mars. De Jupiter.

De l'univers.

Une singularité à ciel ouvert. Propice aux extravagances les plus élémentaires.

Ma vie je la consomme la nuit. Comme il faut. Comme elle vient. Comme elle s'offre à moi.

Mi ange mi démon. Mi ciel. Mi terrestre. À ciel ouvert. Sans vergogne. Sans cupidité.

Un renégat de la collectivité. Toute entière.

C'est ma vraie nature. Peut-être que c'est celle de tout le monde. Mes nuits je les passe avec la clientèle. Mes clients. Je les aime mes clients. Je les choie.

Je suis un adepte du plaisir et de la jouissance. Sans limite. Un Oscar Wilde de la dernière génération.

C'est ma raison de vivre. On verra jusqu'où ça me mènera.

Dans la vie il faut prendre des risques. Toujours. Sinon on ne vit pas.

La vie pour moi c'est un sacerdoce. Un rituel. Un protocole. Ma raison d'être. Je suis un dévot du plaisir. Un sex-addict.

Mais moi ça me plaît bien. Ça me convient.

Dormir ça trompe la faim. Et l'ennui.

Ça permet de survivre.

Paris est plus beau en décembre. Plus gris aussi.

Quand j'étais adolescent je couchais avec des hommes âgés. Déjà.

Des hommes plus mûrs. Ces hommes m'ont appris beaucoup de choses.

Ils m'ont bien amoché aussi. À défaut de savoir m'aimer. Comme j'en avais envie.

Je n'arrive plus à dormir. Je deviens insomniaque. Je compte les moutons par milliers. Par millions. Sur le plafond. Ils attendent chacun leur tour.

Le plafond ne m'est pas inconnu. C'est devenu un ami. Au fil du temps.

Je finis par m'endormir. Enfin. Je manque d'amour. J'en ai faim. De tendresse. De conversation. D'échange. De partage.

Avec des amants de tous bords. Dans toutes les directions. De tous les horizons. Ils m'apportent. Ils m'importent.

Ils m'apprennent plein de choses. Tout ce que je veux savoir. Tout ce que j'ai besoin d'apprendre. Pour être moi. Parler avec un autre que moi même. C'est ce que je veux.

J'espère qu'un jour j'aurais l'occasion d'aimer un homme. Un vrai. Un cowboy. Celui de l'affiche Marlboro. Lui donner tout ce qui me manque. Tout ce que je peux. Une part de moi même.

Depuis tout ce temps.

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