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Lan Yu
7 janvier 2023

L'agent orange

Troisième Marines au quartier Ho Hoan Kiem. Vietnam.

Je m'appelle Samuel. J'ai 60 ans.

Je suis venu au Vietnam en 1968 dans le 3ème Marines.

Je suis originaire du Texas. Ce jour-là j'ai vingt-quatre ans. Je suis le plus vieux.

Je m'enrôle dans les garde-côtes pour éviter la conscription.

Dans ma famille nous cultivons les valeurs américaines. Ce sont le travail. La justice. Le droit.

Ce ne sont pas que des valeurs américaines.

À cette époque j'ai entièrement confiance dans les valeurs de mon pays.

Si j’ai tué des Vietnamiens ?

Bien sûr que j'en ai tués.

Nous étions formés pour ça. C'était notre boulot.

Mais ce que nous cherchions à tous prix c'est survivre.

Moi Samuel je suis un survivant de cette période.

Blessé je passe six semaines à l'hôpital militaire.

Au bout d'un an je reviens.

Je suis révolté. J'en veux à mon père. J'en veux aussi à mes cinq oncles. Les rapports sont violents.

Tous ont combattu dans le Pacifique et en Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale.

J'en veux à l'Église et au gouvernement.

Tous m'ont menti. Sur la guerre. Et sur le reste.

Pour tenter d'oublier j'habite dans une cabane.

Je vis de petits boulots.

On appelle ça le Chagrin de la guerre. C'est ma traversée du désert.

Je pense :

Qui peut nous donner le droit d'envahir un pays ? De tuer les gens qui ne recherchent que la liberté ? Que l'indépendance pour leur pays ?

Moi Samuel je me serais battu comme eux si la Russie avait cherché à envahir les États-Unis.

Pourquoi nous les Américains nous nous sommes permis ça ?

Parce que ce sont des Jaunes ?

Peu à peu je parviens à me réinsérer dans la vie normale.

Ça ne va pas sans mal.

L'idée du suicide m'effleure.

Il n'y a pas une journée où je ne repense à cette période.

Trente ans après en 1998 je reviens au Vietnam. Pour voir. Voir quoi ? Je n'en sais rien moi-même.

J'atterris à Hanoï. Je me retrouve dans une chambre d'hôtel.

Je retourne mille fois la question dans ma tête.

Que vont-ils me dire ?

Je me lance dans la rue.

Un passant m'interpelle. Il me demande :

- D'où viens-tu ? Des USA ?

- Oui ...

- Mais alors vous êtes un ennemi !

Je murmure :

- Oui. Je suis votre ennemi.

Le passant me rétorque :

- Bienvenue chez nous ! Seul le gouvernement américain était notre ennemi !

Moi Samuel j'ai les jambes qui flagellent.

Quelques mois après je décide de m'installer au Vietnam.

Aujourd'hui j'habite à Hanoï. Dans le quartier Ho Hoan Kiem. Ce n'est pas le bonheur mais ça y ressemble presque. J'éprouve une sensation étrange.

J'ai trouvé une terre qui me donne le droit de remonter le temps.

Je fréquente les locaux de l'Association des vétérans vietnamiens. J'éprouve le besoin d'échanger et de partager mes souvenirs avec des combattants. Avec ces gens-là. C'est étrange.

Aujourd'hui les Vietnamiens sont mes amis.

Ils se trouvaient sur les mêmes lieux au même moment que moi.

À Can Tien. À Cam Lau. Et à Khe San.

Je rencontre des soldats qui ont combattu les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont aussi combattu les Français. Puis nous les Américains. Et enfin les Chinois.

C'est incroyable. À l'endroit des Vietnamiens moi Samuel je ne trouve que deux mots : respect et admiration. Aujourd'hui tous se retrouvent du même côté de la barrière.

Ce que nous faisons ensemble ?

Nous aidons une association qui s'intitule le Village de l'amitié. Sa mission ?

Elle consiste à aider les victimes de la dioxine.

La dioxine ? Beaucoup de Vietnamiens en sont victimes. Quarante ans après la fin de la guerre du Vietnam.

La dioxine on l'appelle aussi l'agent orange.

Aujourd'hui au Vietnam les femmes et les enfants qu'elles allaitent présentent des anomalies hormonales dues à l'utilisation de l'agent orange durant la guerre.

Celui-ci contamine aussi l'environnement.

La guerre du Vietnam (1955-1975) est terminée depuis 40 ans.

Mais la population locale en subit encore les conséquences.

Les États-Unis ont utilisé l'agent orange au Vietnam. Ce dernier a aussi été utilisé au Laos et au Cambodge.

Nous nous en servions pour dégager les terrains de bataille recouverts par la jungle. Il permettait aux armées du Sud-Vietnam et des États-Unis de manoeuvrer plus facilement sur le terrain.

L'agent orange fait toujours des victimes.

Les nourrissons des zones contaminées ont des taux hormonaux trois fois supérieurs à la normale. Ça passe par le lait maternel.

Les conséquences sur l'environnement ?

L'agent orange fait tomber les feuilles des arbres. C'est une substance stable dans le temps. L'agent orange intègre les sédiments. C'est-à-dire la chaîne alimentaire. Et pour plusieurs années.

Moi Samuel j'ai rassemblé trente-cinq mille dollars aux États-Unis pour aider le Village de l'amitié.

En trente années le gouvernement américain n'a pas versé un centime.

Le programme de l'association aujourd'hui ?

Récolter plus d'argent. Assurer une tournée dans les universités américaines pour parler des conséquences néfastes de la guerre. De ses conséquences atroces sur les populations locales et sur l'environnement.

Au Village de l'amitié nous allons organiser l'arrivée d'une vingtaine de vétérans américains.

Mais moi Samuel aujourd'hui je suis toujours révolté.

Le présent est lourd de menaces.

Nous avons eu trois mille morts à Manhattan. C'est horrible. C'est atroce. C'est intolérable.

Mais au Vietnam on en a fait trois millions. Qui s'en soucie ?

Dans l'attitude du gouvernement américain je vois toujours la même manière de procéder que lors du drame vietnamien. On crée des images de propagande pour justifier le fait de tuer.

Hier le Viêt-cong. Après les musulmans. Aujourd'hui les Mexicains.

Jusqu'où allons-nous aller ?

Ça met à vif mon expérience. Elle est toujours douloureuse.

Mes souffrances ne cicatriseront jamais.

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