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Lan Yu
5 janvier 2023

48 heures

Kang

Je me trouve englué dans un demi-sommeil. Le soleil inonde la pièce. Je ne me rappelle plus l'heure à laquelle je me suis endormi. Six heures du matin. Le repos du guerrier.

Je me trouve lové contre le corps de Li. Il respire contre ma poitrine. Il dort d'un profond sommeil.

Notre couche se trouve baignée par la lumière. Le présage semble favorable. Je le ressens comme une prémonition. Li se trouve ici pour la deuxième fois.

Je regarde par la fenêtre. Le bruit de la rue s'amplifie. Le quartier s'anime. Le bruit de la circulation résonne de plus en plus dans la chambre. Les commerçants ouvrent les battants de leurs échoppes. Les marchands ambulants s'installent sur le trottoir d'en face. Je soulève un pan du rideau pour les observer. Ils déballent leurs marchandises. Les premiers clients commencent d'apparaître.

Mes pensées se trouvent ailleurs. Je me rappelle. Toute la nuit je baise le petit. J'éprouve une grande satisfaction. Je m'estime heureux. J'éprouve un soupçon de tendresse. Celui que l'on commence d'éprouver pour celui que l'on prend. Celui qui n'ose pas refuser. Je ne m'arrête pas. Je ne m'octroie pas de pause. J'éprouve un besoin physique à la fois organique et vital. Li représente un cadeau. Une chance à saisir. Ce jeune me fait penser à une fleur de lotus. Qui s'offre à moi.

Il se rend disponible au gré du maître.

Vis-à-vis de ce gars je ressens quelque chose. Une chose plus intense.

Je me sens bien dans ma peau. J'éprouve une sentiment de puissance. Je ne me réfrène qu'au petit matin. J'assouvis mes passions sans pudeur. L'acte sexuel me paraît la chose la plus naturelle du monde. Il représente un acte de vie nécessaire.

Au contact de Li je sens ma force décupler.

Le petit se réveille. Il sort de sa torpeur. Son sommeil paraît comateux. Je l'appelle par son prénom mais dans ma tête je ne peux m'empêcher de le prénommer le petit.

LI

J'émerge. Je ressens un mal au crâne de dingue. Avec difficulté je me rappelle les évènements de la veille. Ils me vrillent le cerveau sans me laisser de répit. Ils submergent mon esprit avec une violence inouïe. Un bulldozer entre dans ma tête. Il envahit mon corps. Chaque scène de la veille me revient en mémoire. Je reprends le contrôle de mes pensées. J'en reconstitue le fil depuis le début. Avant de rencontrer Kang. Ma vie démarre depuis ma rencontre lui. Cet homme me domine sur le plan sexuel. Il refuse toute résistance. Ce forcené prétend posséder à la fois mon corps et mon âme. Je refuse de subir ses assauts. Je le vis comme un viol. Kang me considère comme son objet sexuel. Il me fait subir ses tourments au plus profond de ma chair. Il veut que je souffre. Ça fait partie du jeu. Ça l'excite. Ou peut-être teste-t-il les limites de ma résistance. Je m'agenouille devant lui pour implorer sa pitié. Il adore ça. Je veux partir mais je n'y arrive pas. Et j'ai besoin d'argent. Je reste son prisonnier. Son objet. Sa chose. J'accepte le traitement qu'il me fait subir tous les soirs lorsqu'il rentre fourbu du travail. A son retour je me livre à lui. Il me fait subir tous les sévices et les outrages qui lui passent par la tête.

Il m'observe.

Dehors les éclats de soleil parviennent jusqu'à notre couche. Ils m'aveuglent. On dirait un feu d'artifice. Y a-t-il quelque chose à commémorer ? Je ne sais plus quel jour nous sommes. 

Je me rappelle. Ce feu d'artifice. Les autorités veulent effacer toute trace de ce qui s'est passé la veille.

Les évènements de la place Tiananmen.

 

KANG 

Le sang laisse des traces sur son visage. Je me rappelle les évènements. Je me souviens. Il se blottit contre moi. Il semble effrayé. Une terreur indicible. Celle de se trouver écrasé par un char. Réduit en bouillie. En une masse informe. Comme certains de ses camarades. Il les voit mourir devant lui. Il se sent incapable de réagir. Il connaît la peur. Il se blottit contre moi. Il me fait mal.

Il cherche un peu de chaleur. Une force virile. Celle d'un homme. La mienne. Une force capable de le protéger. Quelles sont les personnes qui comptent pour lui maintenant ?

Il voit des blessés et des morts qui jonchent la place. Il regarde les manifestants qui s'éparpillent aux premiers coups de feu. Ils fuient devant les chars. Ces derniers les écrasent sur leur passage. Ils se retrouvent pris au piège. Comme des bêtes dans un filet. Ils couvrent leur tête avec les mains pour se protéger. Ils se retrouvent parqués dans les camions comme des animaux. Comme des bêtes qu'on mène à l'abattoir. Ceux qui restent se défendent avec acharnement. Avec l'énergie du désespoir.

Je lave le corps de Li avec une éponge. Il en éprouve une certaine volupté. Il me raconte. Comme les autres il prend la fuite. Que peut-il faire ? Les Gardes rouges ramassent les cadavres. Ils nettoient la Place. Les débris jonchent le sol. Les policiers entraînent les survivants sans ménagement. Ils vont croupir en prison. Où se trouvent les fomenteurs de troubles ? Ils disparaissent. On ne les voit plus. Qui sème la révolte ? Où se trouvent les meneurs ?

Les étudiants attendent leur jugement. Expéditif. On les accuse de terrorisme.

J'aime sentir la présence du petit contre moi. Il se réveille.

- Li ... Je m'inquiétais.

Il me regarde. Je perçois cette lueur au fond des yeux. J'y lis l'effroi et la terreur. Il ne sait pas pourquoi il se trouve là. Il ne se rappelle de rien. Il s'assied à côté de moi. Il semble muet. Il implore mon regard. Il ouvre grand les bras. Il m'étreint. Il manque de m'étouffer. Il craint de me perdre.

- Ton crâne saigne encore. Il faut t'emmener d'urgence à l'hôpital.

Les deux Chine s’observent et se jaugent. Elles vivent dans l'appréhension. Elles s'ignorent. Ou se détestent. Les uns réclament plus de liberté. Personne ne se trouve à l'abri d'une dénonciation. Ou d'une jalousie. Les voisins se surveillent.

Les étudiants prennent tous les risques au péril de leur vie. Li appartient à ceux-là.

Moi Kang je profite du système. J'utilise ses failles pour m'élever. J'appartiens à la classe des nouveaux riches.

...

L'hémorragie ne s'arrête pas. Il ne peut pas rester comme ça. Il va s'affaiblir. Je ne veux pas de ça. Il doit rester vivant pour moi. Il se réveille.

- Kang ! Ne m'emmène pas à l’hôpital. Ils vont me trouver.

J'éponge son front. Il ne dit rien. Je parviens à stopper l'hémorragie.

Je me découvre des élans paternalistes. Qui s'adressent à une petite pute.

- Va sous les draps. Je ne veux pas que tu attrapes froid.

Il essaye de dire quelque chose. Les mots refusent de sortir de sa bouche.

- Il s'agit d'une révolution ?

Li ne prononce pas un mot. Il reste silencieux.

Je le fous à poil. Il ne dit rien. Il se laisse faire. Mes gestes le sécurisent. Il semble en confiance.

J'éponge tout son corps. Des pieds à la tête. Je trouve du plaisir à le frotter. Il se livre sans pudeur. Il se rendort. Il sombre dans un sommeil qui semble sans fin.

Je m'en fous. Je continue de nettoyer ce corps que je commence à aimer. Pour lequel j'éprouve quelque chose de plus plutôt qu'une simple envie de baise. Je ne cherche pas à savoir ce que lui ressent. Ce corps se trouve à ma portée. J'en profite.

J'aime la contradiction. Je dois respecter ce corps comme si c'était le mien.

Je me lève. J'allume le poste de télé.

La voix parle au nom des masses laborieuses. Ces dernières existent-elles encore ? Je ne les connais pas. Ils emploient toujours les mêmes mots. Les mêmes slogans. Ça ne prend plus. Ce temps semble révolu.

Jusqu'à quand ce régime tiendra-t-il ?

Au bas de l'écran un bandeau défile en continu. Je veux savoir ce qu'il se trame dans ce putain de pays. Des images brouillent l'écran. Elles surgissent d'ailleurs. D'un réseau clandestin. Qui ose ? L'écran se grippe. Je me lève. Je sens une rage folle me gagner. Je tourne les boutons dans tous les sens. Rien n'y fait.

Le programme officiel reprend le dessus.

Ils parlent de commémorations. D'inaugurations. De visites officielles à l'étranger. Du déclin de l'Occident. Des conneries.

Rien sur Tiananmen.

Par intermittence d'autres images apparaissent. Diffusées par les télés étrangères. Quelque chose passe qui semble repris par les télés du monde entier. Le peuple chinois demeure dans l'ignorance. Peut-être un âge nouveau démarre-t-il ? Une ère nouvelle commence. Tout change. J'en demeure persuadé. Peut-être ce pays renaît-il de ses cendres. Les régimes se succèdent mais finissent par disparaître pour laisser la place.

Non. Rien ne change vraiment. Un leurre. Rien ne bouge. Mais une idée émerge. Un souffle de liberté. Un vent de résistance. Une prise de conscience collective. Personne ne peut le nier.

Récupérer ce gars en vie représente une chance inespérée. Pourquoi ? Je reste sur le bord du lit assis à côté de lui pour l'observer. J'allume une clope. La journée défile. Ça fait dix heures que nous nous trouvons là enfermés dans cette chambre.

Ça repart pour une nuit blanche. Le soir arrive. La nuit tombe. Encore.

Li s'endort d'un sommeil sans rêve.

Quel âge peut-il avoir ? Et moi ? Quarante-deux. La différence ne se voit pas. Voilà que je raisonne comme une personne qui projette de construire avec un inconnu.

Les autres vont s'inquiéter.

J'écrase ma clope dans le cendrier. J'en saisis une deuxième. Je ne pars pas. Ça me semble impossible.

Le réveil affiche 5 heures du matin. Je regarde les heures défiler.

Je souffre d'un mal de tête dont je n'arrive pas à me débarrasser.

La télé ne crache plus rien. Elle diffuse un bruit de fond.

Je me lève. Je regarde l'aube par la fenêtre. Je m'émerveille devant les premières lueurs du jour.

Toutes les valeurs auxquelles je crois s'effondrent en une nuit.

Je mate sans pudeur ce corps nu et vulnérable qui se trouve à côté de moi.

Li se tourne sur le ventre. Sa tête se trouve dans le vide.

Les rayons du soleil se déversent sur son corps. Ils le désignent aux dieux comme une offrande.

A nouveau la flamme du désir me submerge. Mon sexe se durcit.

Je me couche à côté de Li. Je frôle son corps. Je caresse son épaule. Je veux dormir. Je n'y parviens pas. Je m'approche plus près de lui. Je ressens un besoin de chaleur humaine. Je hume son odeur. Je m'en délecte. Elle m'enivre. Je tombe amoureux. Il gigote. Je le gêne et je le sais. Mais je continue. Il ne dit mot.

Il aime ça.

Avec tendresse je l'entoure de mes bras. Il tressaille. Il émerge de son sommeil.

- C'est toi ?

Il me donne l'impression de sortir du coma. Il s'accroche à moi comme à une bouée de sauvetage. L'émotion me gagne. Il possède une force incroyable. Il me fait penser à un enfant en perdition. Une bouteille jetée à la mer.

Ses lèvres cherchent les miennes. Il cherche refuge dans la tendresse. Je la lui donne. Il veut baiser. S'oublier dans le plaisir des corps et des sens. Il me surprend. J'accepte.

Je le baise toute la matinée. Jusqu'à plus soif. Il en redemande. Me réclame. Ne semble pas vouloir s'arrêter.

Cette fois-ci il se passe quelque chose d'inattendu.

Il ne se laisse pas baiser. Il laisse Kang lui faire l'amour.

Nous reprenons de plus belle. Une revanche sur le sort. Sur les évènements. Sur la vie. Sur la mort. Sur le destin.

Cela fait 48 heures que nous nous trouvons dans la chambre.

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