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Lan Yu
6 janvier 2023

Lui

À mon passage, certains hommes me lorgnent sans pudeur. Sans vergogne. J'ai la cote avec les prostitués. Les filles et les garçons. Mais ce sont les garçons qui m’intéressent.

Les filles.

J'aime leur maquillage. Le côté kitch. C'est beau. C'est pathétique. Fantastique. Vintage. Superficiel. Triste à en mourir. J'aime ces lèvres charnues et pleines. Gonflées. Peintes au rouge vif. Ça m’excite. Très sixties. Marylin Monroe. Lèvres pulpeuses. Je trouve ça très beau.

Yeux fardés bleu nuit ou noir. Couleurs fortes. Maquillage. Fond de teint. Blafard.

Parfois c'est trop. Ou pas assez.

Les filles possèdent cette beauté et cette force lumineuses. Unique. Mythique. Chasseresse. Draculéenne. Nocturne. Gothique. 

Le trop maquillage, l'odeur du crayon. J'aime ça.

Les garçons.

J'aime leur côté voyou. Blouson noir. Délinquants dans l’âme. Sans l’être. Ce déhanché provocant. Ce sexe moulé.

Provocateurs et immobiles. Statiques et timides. Des statues. Dans la pénombre des jardins. J'aime la provoc. Sous toutes ses formes. En particulier chez les garçons. Je sais pas pourquoi. Ou plutôt si. Je sais.

Prostitués.

Sourires et beautés froides. Reflets de l'âme. De la misère. Humaine. Je n’imagine pas toute la détresse qu'il peut y avoir derrière ces visages. C'est un gouffre. Il est immense. Abyssal. Les garçons sont des silhouettes. Celles de la nuit. Des ombres qui marchent dans les travées. En solitaires. Ils sont hagards. Fardés. Fatigués. Par l’attente perpétuelle du client. Qu’on attend toujours. Et qui ne vient jamais.

Tous ces tapins me regardent. Ça me flatte. Je suis con. Ils me matent pour le fric.

Je marche. Sans regarder derrière. Je dépasse plusieurs groupes d'hommes qui discutent entre eux. Mais je surprends un ou deux regards à la dérobée. Je ne les regarde pas. Je ne leur accorde pas le moindre regard.

Pourquoi ?

Je n'en sais rien moi-même. 

Peut-être parce-que j'ai peur de me reconnaître en eux.

Plus loin. Sous un portique. Dans l'ombre. Se cache un jeune. Il ose pas. Vingt-deux ans tout au plus. Comme moi. Il est mal. Pas à l'aise. J’ai compris. C’est la première fois. Je sais pas pourquoi. Ce sont des choses que l'on devine. Il me fait pitié. Non. C'est pas ça. J'ai pitié de lui. J'éprouve de la compassion. Une empathie soudaine. C'est pas dans mes habitudes.

Je l'attendais.

Il attend.

Le gars me voit. On est chacun de l'autre côté de la barrière. Ligne jaune infranchissable. La mienne. Pas la sienne.

Il me lance un regard. Un sourire sans équivoque. Un beau sourire. Triste.

Il se ressaisit. Il est obligé de faire ça. Besoin de fric. Nécessité impérative de bouffer. C'est vital.

Sourire pro. Commercial. Pour lui. Il s'arrange à mettre son corps en lumière. Sous le néon. Il faut bien vendre son corps. Le louer plutôt.

Il veut me donner l'impression qu'il m’attend. Il ne me quitte pas du regard. Il espère. Normal. J'aime cette illusion qu'il me donne. D'être désiré. J'ai besoin de lui. Essayer au moins une fois. Dans ma putain de vie. Le garçon se tourne et se retourne sur place. C'est moi qui doit faire le premier pas. Il faut attendre le client. L'appater. Il feint de ne pas me voir. De m'avoir oublié. Ça fait partie du jeu. Je suis seul ici. Son regard finit par revenir sur moi. Par fixer mon visage. Y chercher un indice. Il finit par se lasser.

Il n'a pas le choix. Je suis le seul dans la rue sombre. Silencieuse. Sinistre. Qui attend. Du moins à cette minute. Après il y en aura un autre. Et puis d’autres encore. Qui viendront.

Si ça se trouve, il n’a pas mangé. Peut-être depuis deux jours. Mais ça je ne peux pas le savoir. Ça arrive souvent ici. C’est ce qu’on m’a dit. Et puis c'est son problème. Pas le mien. Moi je viens ici. Pour assouvir mon besoin. Lui pour faire du fric.

C'est rien d'autre qu'un prostitué. 

J'ai peur de faire le premier pas. Comme toujours. J'ai peur de m’engager. Je n’ose pas.

Baiser un mec. Ce type.

La barrière de l'homosexualité.

Je repars sur mes pas. Je commence à sentir un goût amer dans la bouche. Un goût de cendres. Cette perpétuelle impression de tout rater dans ma vie. Parce que je n'ose jamais faire le premier pas.

Je me sens toujours observé. De loin. Je sens son regard qui pèse sur moi. Son regard est déçu. Après tout j'ai le même âge. C'est ça qu'il doit penser. Il ne comprend pas mon départ soudain. Ma reculade. Il doit penser que je n’ai pas un comportement normal. Il l’a vu. Ça me met mal à l'aise.

J'hésite toujours. Je ne fais pas. Je ne m'engage pas. Après je regrette. Je méprise ma lâcheté. Mon impuissance.

Je me retourne une dernière fois. Il me regarde toujours. C'est sûrement un russe. Un gars de l'est. Ce n’est pas compliqué pourtant ! Ya pas besoin de parler pour se faire comprendre. Je peux lui demander ce que je veux. Il le fera. Même les trucs les plus bizarres. J’en dis pas plus. Le cerveau humain est compliqué.

Il n’est pas là pour me juger.

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