Sébastien

Je m'appelle Sébastien. C'est à l'âge de douze ans que j'ai le courage de mettre un mot sur ce que je ressens pour les garçons. Pendant mes années de collège je me mens à moi même. Je fais semblant. Semblant d'aimer les filles. Et d'ignorer les garçons. Je vais même loin sur le plan hypocrisie. Non. C'est même pas ça. Pour moi toutes ces histoires sur l'homosexualité c'est passager. Des expériences de jeunesse. Des erreurs ? Des tentatives pour essayer de se persuader qu'on est comme les autres. Que tout le monde est pareil. Un entraînement. Histoire de savoir si je peux ou pas. Quoiqu'il en soit pour moi l'objectif c'est de créer une famille. Former un couple. Hétéro. Avoir une femme. Des enfants. Rien d'anormal.

Je pousse le vice lorsque je vois un bisou gay à la télé. Je fais le dégoûté.

La tolérance vis-à-vis des gays se voit de plus en plus à la télé. C'est plus fréquent qu'avant. Je me rappelle plus trop bien mais c'est en regardant une série à la télé avec mon frère que je finis par réaliser qu'il n'y a rien de mal à être homo. Alors je réalise. Je prends conscience. Je peux accepter cette attirance que j'ai pour les garçons. Désir que j'éprouve depuis toujours. Alors pour me débarrasser une bonne fois pour toutes de mes préjugés j'accomplis mon come out. J'avoue tout.

C'est grâce aux séries télé comme Dawson ou aux jeux vidéo comme les Sims que le regard des gens évolue. C'est aussi grâce au travail qu'effectuent les profs et les éducateurs dans les écoles. Le regard sur les gays évolue. Dieu merci ça contribue à banaliser l'homosexualité. C'est ça le plus important.

À rendre la différence acceptable dans l'inconscient des gens. Dans leur esprit. Moi Sébastien j'envisage la vie autrement. Même le fait de pouvoir vivre avec un autre garçon. Ça devient possible. J'ai un déclic. Je sais que je pourrai faire ma vie avec un homme. J'en ai conscience.

Ça entre dans ma réalité. Et même qu'avec un autre homme je pourrai avoir des enfants ! Même plusieurs. Je commence à tirer des plans sur la comète. À partir du moment où tu as fait ton come out tu peux envisager la vie autrement. Différemment. Ta vie.

L'idée pour moi c'est d'avoir un petit ami. Quelque chose auquel je ne pense pas c'est qu'on peut tomber amoureux. Ça peut arriver. À partir de ce moment ma priorité c'est de trouver un petit ami. Rien que ça ! Pour moi ça génère une belle histoire d'amour. Je suis un romantique. Un vrai. Le coup de foudre pour un homme ça peut te tomber dessus à n'importe quel moment. Surtout au moment où tu t'y attends le moins.

Eh oui j'ai envie de vivre une véritable histoire d'amour. Une histoire authentique.

C'est pas simple. Je ne connais pas le milieu. Je regarde mon entourage proche. Différemment. Il y a quelqu’un comme moi dans la famille ? Ça devient incroyable. Je me pose un milliard de questions. Je veux savoir quel oncle ou quel cousin est comme moi. Par ses manières ou le petit quelque chose que les autres ne voient pas. Je suis lâche. Avec un peu de chance si je dis à mes amis que je suis homo peut être que certains me feront la même révélation ? Je suis naïf ! Ces questions m'obsèdent. Mais je les trouve importantes.

Si je fais mon come out quels sont les mots que j'emploie ? Homo ? Gay ? Homosexuel ? Homosexuel ça fait un peu scientifique. Je suis perdu. Je ne sais pas quoi penser. Dans tout ça ce qui me fait le plus chier c'est de voir mon adolescence défiler sans que j'en profite ! Comme les autres ados. Moi aussi je veux connaître les premiers amours. Bien sûr ce serait des garçons. Et alors ?

J'ai fait mon come out auprès de mes copains. Les réactions sont surprenantes. Inattendues. J'en ai qui m'ont sorti :

- On s'en doutait Sébastien mais on n'osait pas t'en parler.

Un autre :

- Sébastien je suis flatté et même ému que tu m'en parles. C'est super. Pour moi ça veut dire que tu me considères comme un vrai copain. C'est vraiment chouette de ta part !

La réaction classique :

- Putain Sébastien ! C'est génial ! J'ai un copain gay ! Je vais le dire à tout le monde !

Ce qui m'étonne le plus c'est que je me retrouve avec plein d'amis ! D'un coup ! Pour certaines familles mon fils a un copain gay. C'est tendance. Ça montre que moi aussi je suis ouvert d'esprit. Bof. Tant que ça concerne pas mon fils ou ma fille tout va bien.
Je réalise que je suis privilégié. Tout le monde ne peut pas dire ça. Du coup je deviens le sorcier du lycée. Mon statut change ! Des gars et des filles qui m'ignoraient jusqu'à présent recherchent ma présence ! Ils veulent se confier ! Très bizarre d'endosser un nouveau rôle. Le gay du lycée. La star. Du moins celui qui a fait son come out ! Reste les autres ceux qui n'ont pas encore réglé leurs problèmes. Et il y en a.

Je le devine en les observant.

Tout ça c'est sympa. Mais ça me fait une belle jambe. Tous ces garçons et toutes ces filles sont bien gentils. En attendant moi je n'ai pas d'ami gay. J'en souffre. Horriblement. Je me sens seul. D'autant plus que l'on vient de plus en plus vers moi. Paradoxe. D'une façon ou d'une autre il faudra bien un jour que je dise à ma famille que je suis gay. Il est hors de question de me cacher pour aller retrouver mon petit ami. La situation est zarbi ! Tous mes copains savent que je suis gay. Il n'y a que ma famille qui ne le sache pas ! J'aime ma famille et je dois lui cacher cette partie de ma vie !

Pour faire mon come out il faut que je prenne mon temps. Je le ferai auprès de ma famille quand je me sentirai prêt. Pourquoi me précipiter ?

...

Je fais mon come out auprès de ma famille. Étrange.

Maman me dit quelque chose que je n'oublierai jamais :

- ... Tu es homosexuel. Mais pour moi ce qui prime avant tout c'est que tu sois heureux. Et que tu te protèges. Sébastien il faut que tu te protèges car les hommes ne sont pas stables psychologiquement.

?

- Maman pourquoi tu dis ça ?

- Parce-que c'est la nature des hommes et que tu ne peux rien à ça !

Je regarde maman. Elle se pose des questions. Elle culpabilise.

" Pourquoi j'ai rien remarqué depuis tout ce temps ? Comment j'ai pu être à côté de la plaque ? Comment j'ai pu laisser Sébastien porter ce secret dans son cœur ? Un secret aussi lourd ? "

Maman ne va pas bien. Elle réalise qu'elle n'aura pas de petits enfants. Une amie à elle lui dit que ce n'est pas grave. Elle n'aura pas de petits enfants mais elle aura un gendre ! Maman me raconte ça. J'ai du mal à rester sérieux. Je regarde maman. Nos yeux se rencontrent. Faut-il rire ou pleurer ? Impossible de se contenir. Nous avons un fou rire. Tout ce qui a été accumulé se déverse. Ça craque de tous les côtés. Les digues sont rompues. Nous reprenons nos esprits. Maman me regarde. Elle me dit :

- Sébastien c'est pas pareil. C'est pas comparable. J'espérais une vraie complicité avec ma belle fille. Celle que je n'aurai pas. Tu comprends ? Je suis seule. Un peu de complicité m'aurait fait du bien. Et puis c'est pas pareil.

- Qu'est ce qui n'est pas pareil ?

- Eh ben un garçon et une fille quand ils se promènent dans la rue ils peuvent se donner la main. Ça choque pas ! Tandis que deux garçons ou deux filles !

- Maman ça n'a rien à voir ! C'est un détail ! On ne bâtit pas sa vie sur un détail !

Maman me fait de la peine. Il faut que je me mette à sa place. Elle sent que tout ça me fait mal. Me voir malheureux la rend encore plus malheureuse. Il ne faut pas dire à la famille que je suis gay.

Je me cache jusqu’à quand ? Jusqu’à ce qu'on découvre un jour que je suis gay ? C'est pas mieux que je le dise avant ? L'idéal c'est de faire son come out quand on part de chez soi. C'est pas un peu lâche ? Tu vas les laisser se démerder avec la culpabilité ? Je ne sais pas si mes épaules sont assez solides pour porter ça. Je me sens livré à moi même. Pourtant je veux vivre ma vie de gay. Comme je ne suis pas très courageux je m'inscris à un site. C'est toujours mieux. Ça m'apporte des réponses. Ce site me permet de lire les réponses des gens. Sur ce que je vis. Je commence à comprendre certains trucs. Je réalise que ce milieu est très dur. Sans pitié. Je peux discuter avec certaines personnes. C'est pas que du cul ! Les personnes avec qui je parle ne sont pas nombreuses. Avec elles j'ai des conversations intéressantes. L'intérêt d'un site c'est que tu parles avec des personnes dont tu ne connais pas le nom et que tu n'es pas obligé de revoir. Ce sont toujours des pseudonymes.

Mais ça va un moment.

Tu dois te détacher du site pour t'ouvrir aux autres. À un moment donné il faut aller vers la réalité. Nous sommes des êtres humains. Pas des images virtuelles avec lesquelles tu corresponds. Ça peut durer des années ! À partir du moment où je me suis détaché du site j'ai pu vivre normalement. Ce jour-là j'ai réalisé que j'étais normal. Aujourd'hui je peux le dire. Pour moi l'homosexualité c'est une simple caractéristique. Comme une autre. Elle définit un individu comme n'importe quelle autre caractéristique. J'ai des amis. Aujourd'hui dans mon cercle je n'ai pas que des amis gays. J'en ai quelques uns. Ça me suffit. J'ai aussi et surtout des amis hétéros.

Sébastien