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Lan Yu
7 janvier 2023

Kun 11

Kun a un an de plus que moi. Nous sommes dans la même classe. Kun est de taille et de carrure moyennes. C'est un beau gars. Toutes les filles le remarquent. Il a plus la cote que moi. Pourquoi ? Parce qu'il joue dans l'équipe de football du collège.

Son père Deng. Le père de Kun. Il fait partie de la brigade des pompiers de la ville. Tous nous habitons dans le même quartier. Un vieux quartier de Pékin. Tout le monde connaît le père de Kun.

Il est âgé d’une quarantaine d’années. Apparence juvénile. Toujours en forme. Tempes grisonnantes. Il a les cheveux coupés à ras et le visage buriné. Deng cultive une image d’homme viril. Il aime les belles voitures. La pêche. Les considérations intellectuelles c'est pas son fort.

La mère de Kun est une femme au foyer. Elle vient de fêter ses quarante ans. Elle possède les attributs de la femme parfaite. Cheveux noirs de jais. Un beau visage. Elle s'habille avec soin. Même pour faire le ménage. Kun l'interroge à ce sujet. Elle lui répond :

" C'est pour rester séduisante aux yeux de ton père ... "

Moi c'est Bao. J'ai le sentiment que je ne plais pas à la mère de Kun. Mais celle-ci laisse à Kun le soin de choisir ses amis.

La famille de Kun semble idéale. Son père est connu de tous. Il est respecté. Sa mère est dévouée. Kun est un enfant beau et intelligent. Plus tard je vais découvrir que le tableau n'est pas aussi idyllique.

Je ne sais plus comment Kun et moi on devient amis.

À la fin de la première année de collège nous sommes inséparables. On a plusieurs cours en commun. Souvent nous sommes assis l'un à côté de l'autre. Du moins lorsque les profs ne nous séparent pas. Le midi on mange ensemble.

Quand c'est possible pour le sport on fait partie des mêmes équipes. Le week-end on le passe ensemble. Une fois chez Kun. Une fois chez moi. On est jeunes. On passe les week-ends à jouer dans les bois avec d'autres enfants. À la guerre. À plein de jeux qui peuvent paraître idiots.

Kun et moi on organise des batailles de pommes de pin avec d'autres enfants. Enfin c'est plutôt Kun qui organise.

Il faut faire gaffe. C'est un jeu formidable si personne ne prend une pomme de pin dans l'œil. C'est un truc à perdre un œil. Mais on joue pas qu'à ça. Dans une large étendue d'eau en plein milieu des bois quand on est tous les deux Kun et moi on cherche à attraper des têtards et des grenouilles. On s'amuse aussi à aiguiser les branches pour en faire des couteaux. On fait tout ce que les garçons font à notre âge.

On parle aussi de filles et de sexe. Ça nous excite terriblement. Aujourd'hui je me rends compte que c'est parce que Kun me parlait de sexe que j'étais excité. Pas à cause des filles. Je ne sais pas pour Kun. Mais à cette époque moi Bao je pensais déjà aux garçons. Il n'empêche. Nos conversations comportaient toujours une fille au milieu.

Parfois avec Kun je perds le fil de la conversation. Perdu dans mes pensées je le regarde. Je l'observe. Il est canon. Pourquoi il y en a qui ont tout et d'autres qui n'ont rien ? Pour ma part je me situe dans la deuxième catégorie.

Je suis un peu jaloux. Je contemple Kun un peu trop souvent. Je fais souvent répéter. Ce qui m'étonne le plus c'est qu'il ne fait pas le rapprochement.

Ni Kun ni moi-même n'avons eu d'expérience sexuelle. Ni avec des garçons ni avec des filles. Sur ce terrain notre inspiration provient d'histoires que nous avons entendues. Ou rapportées dans le courrier des lecteurs de Penthouse. Un magazine érotique américain qui est largement diffusé en Chine. Sous le manteau. Clandestin. Ce sont nos seules références ! Pour faire comme tout le monde lorsque nous parlons de l'anatomie féminine nous employons des termes plutôt crus. On sait pas. On pensait que c'était comme ça qu'il fallait en parler. Puisque tout le monde en parlait comme ça. Les autres utilisaient ces termes. En fait dans les conversations si on mentionnait pas une fille ou bien une fille en couple avec un garçon on prenait le risque d'être traité de pédé.

En fait je crois que Kun et moi on avait peur de parler ouvertement de ce qu'on ressentait. Peut-être l'un vis-à-vis de l'autre.

Kun possède un très beau visage. Qui attire le regard de façon systématique. Des cheveux noirs de jais. Sa peau possède un teint cuivré très prononcé. Un granulé qui lui donne du relief. Conséquence d'une acné il y a deux ans.

Ça lui donne une allure un peu sauvage. J'aime bien.

Kun a commencé à prendre de la masse musculaire quand il a rejoint l'équipe de foot du collège. C'était à peu près un an avant que nous devenions amis. Son corps est parfait. Du moins c'est ce que je pense. Il présente des épaules et des pectoraux bien dessinés. Pas spécialement imposants mais juste ce qu'il faut pour un garçon. Il possède des biceps noueux. Comme ses jambes. Très attirant.

Mais son atout à Kun c'est le sourire. Unique. Celui-ci laisse entrevoir des dents d'un blanc éclatant. Pas nécessairement bien alignées mais ça lui donne un charme fou. Quand on l'observe avec plus d'attention on remarque une incisive cassée sur le côté gauche. Souvenir d'un règlement de compte dont il n'a jamais voulu parler. C'est vrai que ses dents ne sont pas nécessairement bien plantées là où il faut mais cette imperfection apporte encore plus de charme à son sourire. Avec un truc pareil Kun possède un charme fou aussi bien auprès des filles qu'auprès des garçons.

Moi je m'appelle Bao. À cette époque je suis petit de taille. Plutôt maigre. Côté muscles j'ai du retard. Je mesure 1,52 mètre et pèse 42 kilos. Au collège je fais partie des plus petits ! Je considère ça comme une injustice. Celle-ci va perdurer jusqu'à la première année de lycée. C'est à ce moment-là que je connais un pic de croissance. À part la taille mon physique est standard. Cheveux noirs de jais qui poussent dans toutes les directions. Des épis partout.

C'est la raison pour laquelle je me rase les cheveux dès que je peux. Mais je sens que ces épis capillaires peuvent être un outil efficace pour séduire Kun.

Mon point fort ? Le sourire. Moi-aussi. Mais une autre forme de sourire. Peut-être un peu triste. Mais je ne sais pas pourquoi. Celui de Kun est optimiste. On a toujours l'impression que l'avenir lui sourit et qu'il le sait ! Il n'empêche. Souvent quand je souris Kun me demande :

" Bao ! C'est quoi ce rayon de soleil qui éclaire ton visage ? "

Quand Kun me demande ça à l'instant où il me pose la question j'ai l'impression d'être le plus heureux sur terre. J'en profite. Je l'avoue. Je fonds. J'use encore plus de mon sourire. Je me force pour plaire à Kun. Ça peut durer longtemps !

Au mois de janvier de l'année suivante Kun a une petite amie. Il sort avec une fille. Mei elle s'appelle. Je suis effondré. Kun passe de plus en plus de temps avec Mei. Je le sentais venir. Je sais pas pourquoi. Peut-être que pour être lui-même Kun a besoin de faire toutes les expériences qu'offre la vie.

Moi Bao quand je suis seul je me pose plein de questions. Trop. J'occupe mon temps libre comme je peux. Je tourne en rond. Je m'ennuie. Alors je me mets à lire avec avidité. Il n'y a que ça à faire. Ou je m'acharne sur les jeux vidéo. L'objectif c'est de ne pas penser à Kun. Ou le moins possible. Sinon je vais pas tenir.

Je suis triste de ne pas être avec lui. Au quotidien.

Le début de la saison foot démarre. Je me présente dans l'équipe. Je veux en faire partie. Je ne sais pas ce qui me prend. Ni comment j'ai fait. Je suis sélectionné. Pourtant je suis nul au foot. Il devait leur manquer quelqu’un. Ça doit être ça. Je m'entraîne dur pour être un joueur potable. C'est un moyen comme un autre pour ne pas penser à Kun. Avec cette histoire de Mei Kun et moi on en arrive à ne plus se fréquenter. Je croise Kun dans les couloirs. Dans ces cas-là il me sourit. Il me dit :

" Salut Bao tu vas bien ? "

Bof. Je déteste cette situation. Mei encore plus. Je ne la regarde pas. Je fais des détours pour ne pas la croiser dans les couloirs. Pourquoi ? Parce que la douleur est là. Elle est trop forte. Trop lourde à dépasser. J'en arrive à ne plus vouloir parler à Kun. Le pire c'est qu'il ne le remarque pas. Moi Bao je me considère comme un garçon intelligent. Mais fragile. Très tôt je suis confronté à la violence de mes camarades de classe. Surtout de la part de ceux qui ont quelque chose à prouver. Quoi ? Je l'ignore. Je suis poussé. Bousculé. Ridiculisé. Battu parfois. Toutes ces brimades ont un effet désastreux pour mon amour-propre. Et sur mon caractère.

À cette période ma fierté est égale à zéro. Je crois pas qu'on puisse avoir pire image de soi-même. C'est pourquoi aujourd'hui je comprends toujours pas pourquoi Kun m'a demandé de partager sa vie. Je considère que je mérite pas d’être aimé par un garçon aussi exceptionnel. Mon complexe est sûrement dû à tout ce que j'ai vécu à ce moment-là.

J'éprouve quelques difficultés à l'école. Mes parents en sont conscients. Ils ont une idée mais ils m'en parlent pas. Ils disent rien. Ils veulent que je vois un psy. Le mec a été nul. Je sais pas ce que mes parents ressentent. Ou pensent. Ils préfèrent laisser tomber. Ils m'abandonnent à mon propre sort. C'est toujours le cas. Eux et moi on a presque pas de contact.

À la fin de ma deuxième année de collège Mei et Kun se séparent. Je l'apprends par des rumeurs. Pourquoi ?

Je peux pas m'empêcher de poser des questions à Kun. Il veut pas aborder le sujet. Je peux pas me permettre d'en parler à Mei. On arrive à la fin de l'année. Une semaine avant la fin des cours je croise Kun dans notre classe principale. Il est devant son casier. Les mains posées dessus et la tête fourrée à l'intérieur. Je me demande ce qu'il se passe. On a l'impression qu'il cherche un livre à l'intérieur et qu'il le trouve pas.

Je prends mon courage à deux mains.

- Bonjour Kun !

Aucune réponse. J'ai l'impression qu'il m'a pas entendu. Je m’approche. Je répète.

- Salut Kun !

Il sort sa tête du casier. Il la tourne vers moi. Il me regarde. Puis détourne la tête. Je vois qu'il essuie ses yeux. Il a pas l'air bien.

Il se redresse et me sourit.

- Salut Bao !

C'est pas ça. Ses joues sont striées de larmes. On dirait que ça fait un moment qu'il est comme ça. Mal. C'est ce que j'en déduis. Il a les yeux gonflés. Les sentiments que je ressens pour Kun remontent à la surface. Tout ce que j'éprouve pour lui. Je m'inquiète. J'ai jamais vu Kun dans cet état.

La seule fois c'était l'an dernier. Il s'était cassé la clavicule pendant un match de foot.

- Qu'est-ce-qui se passe Kun ?

Il s'essuie les yeux. Il a l'air vraiment malheureux. D'habitude il est si joyeux et semble si heureux que là ça en est pénible. Aujourd’hui c'est pas le Kun que je connais qui est devant moi.

- J'ai rien Bao. Tout va bien.

Il a toujours les yeux embués de larmes. Je suis préoccupé. Je me rapproche de lui.

- Kun ! Tu veux qu'on parle ?

- ... Après les cours.

Je suis pas d'accord. Il faut attendre deux heures. Je fais non de la tête. Je veux lui faire comprendre que c'est maintenant qu'on parle. Tout de suite.

- On va être en retard Bao !

- Kun ! Te voir souffrir comme ça me met mal à l’aise !

......

- Eh Kun pourquoi tu chiales ? On a besoin de sa maman ?

????

Merde.

On pouvait pas tomber plus mal.

Li. La brute de service. En général il est accompagné de sa bande. Comme tous les lâches. Là il est seul.

On a de la chance. Bizarre.

- Va te faire foutre Li ! Je lui dis.

Il me jette un regard furieux. Il s'avance vers moi. Il me saisit à la gorge. Avec violence il me pousse contre un casier. Je me blesse. Li est deux fois plus lourd que moi. Deux fois plus grand aussi. Et il a une tête de plus. Il s'amuse avec moi. Je suis son jouet. Il me considère comme un objet. Un fétu de paille.

- qu'est-ce-que tu dis ? Reprend Li. Il me menace. Ses yeux sont remplis de haine. Je commence à avoir peur. Ça lui suffit pas. Il saisit le col de ma chemise. Je lui lance un regard vide. Dénué de toute expression. Celui que je lance à mes parents lorsque je suis en colère. Pourtant je dis rien. Mais je suis pas un lâche.

- C'est bien ce que je pensais ... Dit Li.

Si jamais tu me reparles comme ça je t'arrache la tête et je te vide de ton sang sur le parking ...

Il empoigne à nouveau le col de ma chemise et me projette une nouvelle fois contre les casiers. La douleur dans mon dos est atroce. Je commence à saigner. Je tombe de travers après avoir atterri sur la poignée de la porte qui s'enfonce dans mes côtes.

Kun est interloqué. Il s'attendait pas à tant de violence. Il réagit.

- Li ... Tu le lâches. Sinon tu vas avoir des problèmes. De gros problèmes ... Dégage Li.

Li regarde Kun. Il ricane. Kun n'a pas peur de Li. Et Li le sait.

- Pleurnichard, dit encore celui-ci à mon encontre.

Li finit par s'éloigner. Il rejoint sa bande qui l'attend à deux pas de là dans le hall du collège.

Kun reste silencieux. Il prend quelques livres dans son casier puis referme la porte. On se reprend. On récupère. Côte à côte on traverse le hall en direction de l'autre aile. Alors que nous passons devant Li et sa bande ils se mettent à rigoler. Kun s'arrête au milieu d'eux. L'un après l'autre en silence il les toise en prenant bien soin de les dévisager. Puis il se tourne vers moi. Il me regarde. Nous reprenons notre chemin vers l'aile opposée.

- Bao ! Me dit soudain Kun.

" On sèche les cours ".

Les yeux de Kun sont de nouveau humides. Je le vois bien sur son visage. Celui-ci s'est à nouveau assombri. Je le suis. Je sens qu'il a besoin de se confier. De parler. Tout dire. Tout raconter. Mais quoi ? Une certitude : je dois être là pour lui. Ne pas le décevoir. Jamais. On sort du bâtiment. On se dirige vers le terrain de foot. Tandis que nous marchons j'en profite pour lui parler.

- Kun. Parle-moi !

Il secoue la tête. Non. Il se contente de secouer la tête. Ça semble grave.

On continue de marcher jusqu'aux gradins du stade. Là on est sûr que personne nous entendra. Le silence s'instaure entre nous. Au lieu de monter nous asseoir sur les gradins nous nous mettons à les contourner. Lui comme moi on veut prolonger ce moment. On parle pas mais on se sent très proches l'un de l'autre. On veut trouver un endroit tranquille. Kun jette un regard alentour pour s'assurer que nous sommes seuls. Il marche jusqu'au mur de briques situé derrière les gradins. Il s'y adosse. Je m'avance vers lui et avec douceur et tendresse je pose la main sur son épaule. Je sens son corps trembler avec nervosité. Il tressaille. Il se laisse glisser sur le sol. Les coudes posés sur ses genoux Kun enfouit sa tête dans les bras. Je me laisse glisser à côté de lui.

- Parle-moi Kun. Je pose la main sur son genou. Il sursaute. Je la retire. Je me tourne vers lui. Je finis par m'asseoir pour de bon à côté de lui. Cette fois-ci je suis résolu à tirer les choses au clair. Ses épaules semblent se détendre. Les tremblements s'estompent. Il me parle avec une voix ténue. Je tends l'oreille pour tenter de percevoir quelques mots. Quelques bribes de phrases. Il retire ses mains du visage et me fixe.

- Bao ! Tu m'appelles plus. Tu laisses tomber ? J'existe plus ?

J'en reviens pas. Incroyable. C'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Je suis abasourdi. C'est bizarre mais soudain je ressens de la culpabilité. Légitime ou pas. Peu importe. Et je réfléchis. Tout est ma faute. J'ai lâché Kun lorsqu'il est sorti avec Mei. J'ai pensé bien faire. Ou faire ce qu'il fallait dans un cas pareil. Être discret. Normal non ? Le fait qu'il sorte avec Mei ça n'aurait pas dû nous séparer. J'aurais pas dû couper les ponts. Kun avait toujours besoin de moi. Je ne savais pas. Je m'en rendais pas compte. J'étais inconscient. Aujourd'hui j'ai la sensation de l'avoir abandonné. Au mauvais moment. Ma gorge se noue.

- Pardon Kun. Kun pardonne-moi ...

Curieux cet instant. Je réalise que je serais capable de chialer devant Kun mais pas devant mes parents.

- S'il-te-plaît Kun ne m'en veux pas.

Je plonge mon regard dans le sien. Dans ses yeux noirs de jais. Je m'y regarde comme dans un miroir. Comme le reflet de moi-même. J'ai besoin de me cacher. Soudain j'éprouve de la honte. Je ne trouve rien de mieux à faire que d'enfouir ma tête dans les bras. Je me méprise. Je suis égoïste. C'est plus fort que moi. À chaque fois c'est pareil. Je reproduis le même scénario.

?

Je fais souffrir ceux que j'aime le plus. C'est inconscient. Kun lui c'est différent. Il me voit avec ses yeux. Il est naïf. Il voit pas le mal chez les autres. Pour lui ça n'existe pas. Ce sont de simples réactions du moment. De protection. Pour se mettre à l'abri.

- Bao ! dit-il. Comment pourrais-je t'en vouloir ? Je t'aime moi ! Tout simplement. Je t'aime Bao.

Je relève la tête avec brusquerie. Je sens mon cœur qui bat la chamade. À tout rompre. Il va exploser.

Je regarde Kun avec un air incrédule. J'ai bien entendu ? Une sensation nouvelle prend forme. Comme une sorte d'espoir. Une espérance. Quelque chose de nouveau naît dans mon cœur. Il se forge une place.

Jusque-là j'ai jamais éprouvé quelque chose comme ça. J'ai l'impression de renaître. À la vie. Ou d'entamer une vie nouvelle.

Kun me décroche un sourire timide. D'espoir. D'espérance. Son plus beau sourire. Un mélange de tendresse. D'amertume. De tristesse et de bonheur retrouvé. Tout ça à la fois.

Kun n'a jamais été aussi canon qu'à ce moment précis. Et si désirable.

Il est beau. Comme jamais. Avec ses yeux noirs de jais qui semblent vouloir découvrir l'univers. Ou le questionner. Il veut me parler. Me dire quelque chose. Il n'ose pas. Il ose.

- Bao ! Hier soir j'ai eu une longue discussion avec ma mère. Elle et moi on a parlé de Mei et de moi. J'ai aimé sortir avec Mei. Le soir Mei a voulu qu'on fasse des trucs ensemble. Tu te souviens ? Les choses dont on parlait il y a quelques années ...

- Bien-sûr que je me souviens.

- Je pensais pouvoir faire ces choses moi-aussi. Ça s'est mal passé. Mais c'est ma faute.

- Qu'est-ce-qui s'est passé ?

- Ses parents étaient absents. J'ai compris son manège depuis le début. C'était pour aborder des choses plus sérieuses. Comme un test. C'est l'impression que j'ai eue. Elle a commencé par se blottir contre moi avant d'enchaîner sur toutes sortes de choses.

...

Kun fait une pause avant de reprendre. Je sens bien qu'il veut peser ses mots avant de parler. Il m'observe. Du regard il m'interroge.

J'ai l'impression qu'il scrute ma réaction. Il voit bien que je suis suspendu à ses lèvres et que j'attends d'en savoir plus. Il reprend d'un air plus joyeux.

- Bao ! C'est une découverte. J'ai pas du tout été excité ! Je me le reproche. J'y arrivai pas ! Pourtant elle s'est déshabillée avec lenteur dans l'espoir d'éveiller mon désir. Elle a tout fait pour que ça marche.

- Il s'est passé quoi ?

- J'ai eu honte. Soudain je me suis senti angoissé. Je me suis vite rhabillé et je suis parti. On aurait dit un voleur. Je suis reparti à pied dans un état semi-inconscient. Une fois rentré chez moi ma mère m'a demandé :

- Qu'est-ce-qui se passe Kun ? Ça va pas ?

J'ai sorti toute la vérité à ma mère. Je lui raconte. J'ai rompu avec Mei. Elle me demande pourquoi. J'étais tellement mal que j'ai tout sorti d'un coup. Je fais confiance à ma mère. Et puis je l'aime. Sans trop savoir ce que je dis je lui annonce que je suis gay. Je lui tends la perche. Pour voir. Au fond de moi j'ai besoin d'être rassuré. Elle ne dit rien. Durant quelques minutes son visage se fige. Les traits se contractent. On dirait du marbre. Du coup une idée me traverse l'esprit.

Je m'attends à ce qu'elle me foute dehors. Rien ne se produit. Ou plutôt si. Elle cherche à contenir ses larmes. À ne pas montrer. La détresse. Le désespoir. L'inquiétude soudaine. Je le vois. Elle y arrive pas. Je me sens très mal. Quelque chose est en train de se décomposer à l'intérieur de moi.

Elle laisse tomber la vaisselle qu'elle avait gardée dans les mains. Elle tourne la tête vers le couloir pour y chercher quelque chose. Un refuge. Un abri. Elle se précipite vers la chambre. Elle s'enferme. On n'a pas discuté. Elle n'est pas ressortie de sa chambre.

- Bao ! Je veux pas être gay. Je peux pas l'imaginer un instant. Je pourrai jamais l'accepter.

... Moi Bao je suis surpris de l'attitude de Kun. Je m'attendais à ce qu'il parle de moi. De nous. Je fais de mon mieux pour l'entourer avec mes bras. Je l'aime. Je suis affectueux avec lui. Je me surprends à l'attirer contre moi. Je veux le serrer dans mes bras.

Quelque part je suis content. Je réalise. Kun est gay. Mon meilleur ami est gay. Il aime les garçons. Pas les filles. Au fond de moi je préférerais qu'il aime LE garçon. C'est-à-dire moi. Ben oui !

Mais ça veut dire aussi autre chose. Que moi-aussi je suis gay puisque je l'aime. Puisque moi-aussi j'aime les garçons et que je suis amoureux de lui.

Moi Bao c'est la première fois de ma vie que je me colle une étiquette. Ça me fait peur. Ça m'effraie. Par rapport à ce que j'ai entendu dire chez les gens. J'ai vu leurs réactions. Je les ai entendus.

À présent tout ça prend un tour nouveau. Un sens un peu terrifiant. C'est à ce moment-là que Kun me prend dans ses bras. Il me serre fort. Il cherche à me réconforter. À me rassurer plutôt. On dirait deux gamins face à un danger imminent.

Kun me relâche. Il me jette un regard. Il m'interroge. Il semble me découvrir pour la première fois.

- Bao ? Je te trouve bizarre. Quelque chose ne va pas ?

Je détourne le regard. C'est pas mon truc de ne pas assumer mais là j'avoue que c'est plus fort que moi. Alors j'y vais. Je me lance.

- Kun ! Tu dis que tu m'aimes. Kun ! De quelle façon ? Comme un ami ? Ou plus que ça ? Il y a autre chose ?

Kun me fixe. Il me regarde droit dans les yeux. Son regard pénètre mon âme. Et mon cœur.

Il me dit :

- Bao ... Je t'aime Bao. Pour moi tu es plus qu'un ami. C'est ça que tu voulais savoir ? Et bien oui ... Pour moi il y a quelque chose de plus fort.

J'ai eu très peur. J'ai passé des nuits blanches. Je me suis interrogé. Sur moi-même. Sur toi. Sur tous les deux. Bao j'ai besoin de toi. De ton amitié. Je sais c'est un peu égoïste car là je pense qu'à moi. Je voulais que pour moi tu sois plus qu'un ami. Je le désirais avec ardeur. Je le souhaite depuis le début. Et puis j'ai réalisé ce que ça voulait dire. Jusqu'où ça pouvait nous mener. Ça peut paraître contradictoire et vicieux mais c'est pour ça que je suis sorti avec Mei. C'était de l'inconscience. Je voulais mesurer l'amour que je te portais à l'aune des sentiments que je ressentais pour Mei.

- Mais Kun ??

- Bao au plus profond de moi je ne voulais pas être gay.

Kun détourne les yeux. Il fixe le sol. On dirait qu'il a honte.

- Bao j'ai un aveu à te faire. Quelque chose à te demander.

- ?

- Ça peut paraître idiot. Débile. Bao. Veux-tu être mon petit ami ? J'éprouve quelque chose de très fort pour toi. Que j'ai jamais éprouvé jusque-là. C'est comme un besoin de quelque chose de plus fort.

C'est bizarre. Kun donne un violent coup de pied dans le gravier devant nous. Il fait voler les cailloux. Comme s'il voulait forcer le destin en faisant ça.

J'en crois pas mes oreilles de ce qu'il vient de dire. C'est incroyable. Je suis ému et bouleversé à la fois. C'est courageux. Une autre question me vient à l'esprit. Pourquoi moi ? Pourquoi m'a-t-il choisi ? Et puis le doute. La remise en question. Qu'est-ce que j'ai de plus qu'un autre ? Il y a plein de beaux garçons.

?

Je regarde Kun en face. Mais je reste silencieux. J'avoue ne pas savoir quoi dire. J'ai l'impression de découvrir Kun pour la première fois. Son visage lumineux malgré la souffrance. Qui trahit son inquiétude. Ses cheveux en bataille.

Ses épis noirs de jais qui vont dans tous les sens. Son aspect sauvage. J'ai l'impression de le regarder depuis une éternité. Il commence à se sentir mal à l’aise. Je le vois qui s'agite. Il veut se lever. Alors je sais pas ce qui me prend. Je mets une main sur son épaule. Je cherche à le retenir. J'ai peur qu'il me laisse seul. De le perdre à tout jamais après cet instant d'émotion. À ce moment il lève les yeux vers moi. Je sais ce qu'il ressent. Il a peur que je le rejette. Un trop plein d'émotions parcourt son visage. Il a peur. Il reste incrédule. Puis ça change. Soulagement.

- tu sais Kun pour ma part depuis le début je t'aime. Avec un autre amour. Celui-là est le plus fort. J'étais trop con pour m'en apercevoir. Ou mettre des mots dessus. Les vrais mots.

Kun je vais te dire un truc tout bête mais que je crois vraiment. Si je suis gay alors si c'est pour être avec toi je veux bien l'être !

Je me penche vers Kun. Une pulsion. Je pose mes lèvres sur les siennes. Il a un mouvement de recul. Il ne s'y attend pas. Et puis il réalise ce qui est en train de se passer. Il hésite encore. Puis il laisse faire. Pour la première fois nous nous embrassons. Un vrai baiser.

C'est un baiser plein de tendresse. J'attrape les mains de Kun. Comme un naufragé. Je les prends dans les miennes. J'imprime son visage dans mon esprit.

Nous restons comme ça les mains dans les mains.

La sonnerie retentit. Elle annonce la fin des cours. Kun est le premier à briser le silence.

- Bao ... Je dois prendre le bus. Ce week-end c'est l'anniversaire de Papa. Je ne peux pas être en retard. Kun se penche vers moi. Il presse ses lèvres contre les miennes. Je le serre contre moi. Je surprends sa langue qui caresse mes lèvres.

- Kun ! Tu me chatouilles !

Il se retire avec promptitude. Il éclate de rire. Il se lève d'un bond. Il part en courant. Il tourne la tête. Un grand sourire traverse son visage.

- Je t'appelle !

À nouveau il me jette un regard par-dessus l'épaule. Il m'adresse un sourire. Il agite la main. Je le suis des yeux. Je le regarde s'éloigner.

Moi Bao je peux le dire. Je suis heureux d'être aimé par un tel gars.

Je suis sur un petit nuage ...

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