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Lan Yu
7 janvier 2023

Tiananmen Chapitre 2

Avec Xiao nous mangeons en silence. L'un en face de l'autre.

Je suis content de partager mon repas avec ce mec. Avec Xiao. Je ne sais pas pourquoi. De toute façon ça n'a pas d'importance. Tout ça n'a pas d'importance.

Pour le moment. Manifestement pour Xiao la prise d'un repas en commun avec un invité est quelque chose de très important. Nous les Chinois nous apportons une importance extrême et rigoureuse à la convivialité. À l'hospitalité. C'est quelque chose de très important pour nous. Pour Xiao ce repas pris en commun avec moi revêt une importance particulière. Je suis pas loin de penser que sans son secours j'aurais été dans la merde. Surtout pendant cette période.

Pour Xiao le repas est un moment privilégié que l'on doit savourer. On doit prendre son temps. Pour appréhender l'autre. Pour mieux le connaître.

C'est le moment où l'on pense. Où l'on réfléchit. Où l'on prend du recul. Indispensable. Pour la journée à venir. Pour les affaires.

Pour les choses à faire. Et à ne pas faire. De la distance par rapport à la vie que l'on mène. Aux gens qu'on voit.

Par rapport au quotidien. Au temps qui s'en va. À celui qui arrive.

Moi ce que je sais c'est que j'aime Xiao pour ce qu'il est. Tel qu'il est. Je le prends tel qu'il est avec sa personnalité.

J'aime cette convivialité qu'il y a entre nous depuis quelques temps.

Acceptation réciproque. Approche et reconnaissance mutuelle. Début d'intégration. Commencement de quelque chose. De quoi ? Je ne le sais pas encore.

Mais ça peut générer plein de choses. Un avenir radieux comme les auspices les plus sombres.

N'est-ce pas là l'image de la vie ? La vie des gens ? Au quotidien ? Tous les jours ?

Dans la réalité ?

Une rencontre est un risque.

Chaque rencontre dans la vie comporte des risques.

On sait pas c'qui nous attend si on développe la relation. D'ailleurs qui nous oblige à la développer ? Nous sommes seuls responsables. De ce qui nous entoure. De ce qu'il se passe. Des actions entreprises.

Des gens qu'on fréquente.

Ce repas je le partage moi Dewei. Avec Xiao. Ça me permet de le connaître. De le rencontrer. Intellectuelle. Et physique. Mais ça ça n'engage que moi.

Ça me permet de découvrir Xiao. De l'observer. Je ne veux pas me dévoiler tout de suite. Trop dangereux. Trop de risques. Pas tout de suite. Trop tôt. Mais quand même je meurs d'envie de découvrir sa personnalité. Je crève d'envie de le connaître ce mec. Je meurs d'envie de me frotter à sa personnalité.

La vraie. Pas la façade qu'il se donne. Qu'on se donne tous.

Xiao.

C'est qui au juste ?

Avec ses tatouages. Ses gros bras.

J'aime cette façon qu'il a de respecter les autres.

Xiao attend que ce soit moi qui parle. Par prévenance. Par courtoisie. Extrême politesse. Manifestement il connaît les bonnes manières ! Peut-être trop d'ailleurs. J'adore cette façon que possède Xiao de considérer les invités comme des personnes à part. Comme les personnes les plus importantes à ses yeux. De mettre les gens à l'aise. Ça semble inné chez lui. Je le découvre.

Les personnes leur personnalité leurs différences comptent pour Xiao.

Xiao me scrute. Il m'observe à la dérobée. Jusque-là rien de mal. Au contraire tout va bien. Trop bien ! On va jusqu'où comme ça ?

Pour la première fois depuis que je me suis réveillé je me sens mieux. Xiao est toujours souriant. Il a l'air de vouloir vraiment en savoir plus sur moi.

Douceur. Bien être. Xiao ne me quitte pas des yeux. Il se pose des questions à mon sujet. Ça ne fait pas l'ombre d'un doute.

- D'où tu viens Dewei ? Tu es de quelle province ?

- Je viens du Jiangxi. Mes parents ont fait tout ce qu'ils ont pu pour que je fasse des études et que je me sorte de là.

- De là ?

- De la pauvreté. Alors à dix huit ans je suis parti à Pékin étudier. Avec armes et bagages. Oh ! Pas grand chose ! J'ai atterri à la grande université de Pékin. À la grande université de Tsinghua. C'est la plus prestigieuse ! Mais c'est aussi la plus sélective. Après l'idée c'était de compléter mes études aux États-Unis !

- Ouah ! Tes parents avaient. Pardon. Ils ont ! De grands projets pour toi ! Mais pour faire quoi ? Quelles études ?

- Des études d'architecture. C'était ça au départ. C'est toujours d'actualité !

- Tes parents voient loin ! Ils ont une grande ambition pour toi !

- Comme tous les enfants dans ce pays ! Mais le problème c'est que je ne ressens pas la même chose. Je ne veux pas te choquer Xiao mais on m'a pas demandé mon avis ! Comme à tous les enfants chinois. Rappelle toi la politique de l'enfant unique ! C'est encore très présent dans les mœurs et les habitudes ! J'en porte encore le poids et les stigmates !

- Ça a pas l'air Dewei. T'as pas l'air traumatisé par ce que tes parents espèrent faire de toi !

- Xiao je te répète. Je ne ressens pas le besoin de faire des études. Ça m'emmerde !

J'ai envie d'autre chose. De faire autre chose. Mais je ne sais pas quoi ! Pas encore. Ce que je sais c'est que je suis épris de liberté. Un besoin irrépressible de vivre. Au quotidien. Au jour le jour. Besoin de connaître. De savoir. Envie d'apprendre par moi même. Je suis autodidacte Xiao. De par ma nature. Ma façon de fonctionner. D'être avec les autres. Une leçon de vie.

En plus je veux voyager. Pour mieux apprendre et comprendre encore ! Le monde qui nous entoure. Dans lequel on vit. Tu vois je pense que le monde est en perpétuelle évolution.

- Ça je le sais !

- Le renouvellent des générations oblige les nouvelles générations qui apparaissent qui naissent à aller à la rencontre de leur environnement. Et de l'aborder avec un nouveau regard. Des yeux neufs.

Xiao j'aime vivre le temps présent. Vivre et ressentir l'instant T. L'instantanéité. Sentir dans ma tête ressentir dans tout mon être le temps qui passe. Et qu'on ne peut pas saisir. Qu'on ne peut plus rattraper.

- C'est curieux Dewei ce que tu dis. Mais je comprends pas. Dewei si tes parents ont fait tout ça pour toi tu ne peux pas les décevoir. Tu as tout faux ! Dewei tu viens du Jiangxi. C'est la province la plus pauvre du pays !

- Tu te trompes Xiao ! Ça a changé tout ça ! Comme les autres provinces le Jiangxi évolue ! Tu ne peux pas le nier ! Il s'ouvre même au tourisme. Comme toute la Chine !

- Je croyais qu'il y avait peu de touristes qui allaient là bas ? Ceci dit ceux qui en reviennent en gardent un très bon souvenir. En particulier la ville de Jiu Jiang. La ville est paisible. Elle est très verte. Je n'ai pas eu l'impression d'une grande pauvreté !

- Xiao c'est pas toujours le cas ! Tu sais si tu vas dans les coins les plus reculés tu seras confronté à la réalité des campagnes. La réalité y est rude ! Tu le sais bien !

- J'ai compris Dewei ! J'ai compris que ce que tu veux toi et le moment semble arrivé c'est que tu veux vivre avant tout. Aujourd'hui. Et quelles que soient les conséquences pour l'avenir !

- Oui ! Selon toi Xiao pour moi quelles seraient les conséquences pour l'avenir ?

- Je ne sais pas. Disons que dans la Chine d'aujourd'hui il faut vraiment réussir. Tu n'as pas d'autre choix. Pour beaucoup de jeunes chinois il faut accéder aux plus hauts niveaux de responsabilité. Quels que soient les domaines. Les nouvelles technologies. L'électronique. Le génie civil. Les métiers du bâtiment ! On n'arrête pas de construire ! Le pays est un immense chantier !

- Xiao c'est quoi le génie civil ?

- Le génie civil ? On peut dire que ce sont tous les ouvrages utiles à la population. C'est pour ça que c'est lié à la construction. C'est une sacrée responsabilité ! Par exemple un ingénieur en génie civil ne peut pas faire n'importe quoi quand la vie des gens est en jeu !

- Et les nouvelles technologies c'est quoi ?

- Oh ! Disons l'information et la communication ! La communication avec Internet ça va connaître un essor considérable !

- Xiao ! On est en Chine ! Il faudra attendre encore quelques années avant de pouvoir s'exprimer en toute liberté !

- Dewei ! Ce que je sais c'est que tous les jeunes étudiants aujourd'hui en Chine aspirent à avoir une bonne situation. Ils sont poussés par tous les parents ! Un bon job une bonne situation te garantit la prospérité tout le long de ta vie ! Et ça pour un Chinois c'est important ! Regarde Hong Kong !

- Xiao c'est pas pareil ! Tous les jeunes Chinois rêvent de Hong Kong !

- Pas moi Dewei ! Je résiste ! Je lutte contre ça ! Contre cette envie ! C'est pervers comme pensée et comme attitude ! Moi c'est ici c'est à Pékin que je veux changer les choses. Les faire bouger ! Tu comprends ? Toi Dewei c'est autre chose que tu veux ! Toi tu veux partir ! C'est ça que tu veux !

- Xiao. Je veux voyager. Depuis toujours. Ça fait longtemps que ça me tient à cœur ! Ce n'est pas en restant ici que je pourrai être le plus utile à mon pays. C'est en apprenant à l'extérieur. À l'étranger !

Pourquoi pas les États-Unis ? Je veux rencontrer plein de gens. Je veux connaître tous les pays. Je veux voir du monde. Découvrir l'Occident aussi. Xiao ! Tu m'accompagnerais si j'allais aux États-Unis ?

- Mais Dewei il faut de l'argent ! Beaucoup d'argent ! Et pour ça il faut étudier ! Toute sa vie !

- Mais non ! Il y a toujours moyen de se démerder ! Et puis il faut improviser !

- T'as pas peur du choc des cultures ? Du risque qu'il y a ?

Xiao tu me fais chier. Tu me casses le groove. La bonne volonté. Le désir de vivre. Le besoin de liberté. Le souhait d'émancipation que je ressens de sortir de ce pays. Qui m'entrave. Qui me bloque.

- Xiao ! J'ai besoin de m'expatrier. Tu comprends ça ?

Il ne comprend pas ça. Xiao ne comprend pas. Ou fait semblant de pas comprendre. Il n'a pas l'air de vouloir que je parte. Quels sentiments me porte-t-il ? Je commence de me poser mille questions à son sujet.

Je me reprends.

- Xiao ! Tu me désoles ! Tu comprends pas que j'étouffe dans ce pays ? Même si je porte ce pays de façon viscérale dans le sang. J'aime la Chine. Je vis pour elle. Je vis avec elle. Tu sais Xiao place Tiananmen j'ai perçu un doute dans les yeux d'un jeune soldat de vingt ans qui avec son régiment se préparait à prendre possession de la place. Ça n'a duré que quelques secondes. Il m'a regardé. Je l'ai regardé. Alors dans ses yeux j'ai perçu un doute. Dès qu'il s'est aperçu que je le regardai il s'est repris. De justesse. Puis il m'a regardé une dernière fois. Comme pour prendre date avec moi. C'est ainsi que j'ai ressenti les choses. Il semblait vouloir prendre date de l'instant pour le futur. Pour un futur qu'il ne contrôlerait plus. Plus jamais. Xiao ! Dans son regard j'ai aperçu l'angoisse. De l'avenir. De son avenir. De mon avenir. De l'avenir de la Chine ! Au fond de moi je ne parviens pas à m'en séparer.

Moi Dewei soudain je ressens un mal être. Je me sens mal dans ma peau. J'ai le vague à l'âme. Et si je me trompais ? Si c'était moi qui avais tout faux ? Je me sens anéanti. Je suis déprimé. En même temps je vois bien que Xiao doute lui aussi. Il se pose des questions. Peut-être je manque de patience avec lui. Dans le même temps je réalise que je ne connais rien de lui.

Je ne connais rien de Xiao. Je le connais pas bien. Je ne l'interroge pas assez. C'est seulement maintenant que je réalise. Je lui propose plein de trucs plein de choses des idées nouvelles sans qu'il ait le temps de digérer tout ça !

Xiao. Je ne sais rien de lui. Ou si peu.

- Xiao. Qui es-tu ? Que veux-tu ? D'où viens-tu ?

- J'ai toujours vécu à Pékin. Mes parents sont des petits commerçants. Ils ont tout fait eux-mêmes. De leurs propres mains. Sans l'aide de personne. Sans l'aide de mes grands-parents qui pourtant auraient pu les aider. Du moins au début. Mes parents s'aimaient. Coup de foudre de jeunesse qui par la suite s'est avéré la plus merveilleuse des histoires d'amour. C'est ça que mes grands-parents n'ont pas compris. Ils ne l'ont pas accepté. Pour sortir de l'emprise de mes grands-parents mes parents ont été obligés de s'exiler à Pékin. Dewei mes parents vivent à Pékin depuis longtemps. Par rapport à toi j'ai de la chance. Par rapport à ton vécu. Moi mes parents ne m'ont jamais obligé à faire des études. Ils n'avaient pas le temps de me faire travailler. Ils étaient tout entiers à leur commerce. Dans la journée j'étais libre. Toute la journée ils travaillaient. Ils ne s'occupaient pas de moi. Moi aussi je suis fils unique. Comme toi ! Je n'ai ni frères et sœurs. Voilà un point au moins qui nous rapproche !

Je me mords les doigts. J'ai peur d'avoir froissé Xiao. D'avoir été trop loin.

Peut-être je lui ai fait de la peine. Je l'ai froissé. Je m'en voudrais pour ça.

Et ce garçon me plaît.

Pour ne rien arranger. Après tout il m'héberge. Sans regarder à la dépense. Il attend que je lui donne. Quand je lui donne pour participer il s'empare des yuans d'un air gêné. Comme s'il avait honte de les prendre. De s'en emparer. C'est le mot qui me vient. Alors avec Xiao j'essaye de faire attention. Je prends des pincettes. Un cœur fragile. Un garçon timide sous cette masse musculaire tatouée.

Ce serait con de tout gâcher par une mauvaise parole. Une parole malencontreuse. Je ménage Xiao.

Il me regarde.

Xiao sent que quelque chose ne va pas. Un malentendu. Peut-être. Il s'arrête un court instant. Il m'interroge du regard. Me sourit. Puis voyant que pas de réaction de ma part il reprend. Il se reprend. Commence t il à nourrir quelques sentiments à mon égard ? Il est tellement timide qu'il n'oserait jamais faire le premier pas. Et puis comment réagirais-je ? Ne serait ce pas trop tôt ? Ce serait dans quel but ? Voilà que maintenant c'est moi qui me pose plein de questions. Trop de questions.

Xiao reprend.

- Dewei j'ai toujours vécu dans la grande cité. J'ai observé la vie des gens. Les petites gens pour lesquels le moindre détail revêt une importance particulière. La moindre petite chose constitue pour eux quelque chose d'important. Et qui peut avoir une incidence sur eux. Sur leur vie !

Par exemple Dewei le respect l'amabilité la considération représentent pour eux les marques les plus importantes et les plus visibles de la relation humaine. La reconnaissance de la part des autres.

C'est important. On ne le sait jamais assez.

Autour de moi j'observe la vie de mes contemporains. Dans la ville. Dans ma ville. Dans mon quartier. Dans le village. Dans ma famille. Chez mes proches !

Les parents de Xiao.

- Dewei mes parents étaient très occupés. Ils le sont toujours. Ils ne s'occupent toujours pas de moi. Je sais pas mais je crois au fond que je ne les intéresse pas. J'ai du être un obstacle à leur essor. À leur course effrénée pour la réussite sociale. Je les comprends dans un sens. Je n'étais pas prévu mais par ailleurs un enfant c'est si important ! Ça représente tellement de choses. Tant d'espoirs !

Il n'empêche ! Mes parents je ne les intéresse pas du tout.

Je ne les préoccupe pas. Ils mettent l'argent. C'est sûr ! Mais c'est tout ! Ça s'arrête là !

Aujourd'hui ils considèrent qu'ils font ce qu'il faut pour m'aider. J'ai arrêté très tôt les études. Le reste de ma vie ne les intéresse pas. Ils ont monté leur commerce avec leurs propres mains. Personne ne les a aidés.

Ils en sont fiers. Ils sont fiers et heureux de ce qu'ils ont entrepris.

Je comprends ça Dewei.

- Au fait ils vendent quoi Xiao ? Aujourd'hui ils font quoi ?

- Graines et épices en tous genres. Via tous azimuts. Ils importent des épices de toutes origines. Toutes destinations.

- Mais c'est quoi au juste ?

- Tout ce qui peut avoir un attrait pour les Chinois ! Algues. Thé. Soja. Fruits secs !

- Dewei ! Contrairement à toi j'ai fait des études courtes. Ceci dit c'était pas trop mon truc les études. Je le dis franchement. De toute façon ils ne m'ont pas laissé le temps de réfléchir. Je n'ai pas eu le temps de me poser des questions. Pas de temps pour les élucubrations. Les remises en question. C'est pas le genre de la famille. C'est pas le mien non plus ! Ça s'est passé comme ça :

Un matin mon père me réveille en même temps que lui à 5h30.

- Ta mère est malade ! J'ai besoin de toi pour les livraisons. Il y en a trois à faire maintenant.

- Elle a quoi maman ?

- Elle a des douleurs insupportables à l'estomac. Elle me dit qu'elle souffre au bas ventre. J'ai appelé le médecin. Il va venir. Elle ne peut pas travailler ce matin.

- Et alors ? Tu t'y es mis ?

- Pas le choix ! Il fallait être opérationnel immédiatement ! L'urgence ça n'attend pas !

- Ça a duré longtemps ?

- Ça n'a plus arrêté depuis ! Je n'ai plus cessé d'être à ses côtés ! Ça a duré 2 ans à ce régime.

- Et ta mère ? Et ben c'est curieux mais depuis ce moment même une fois rétablie elle a voulu faire autre chose. Elle disait un truc bizarre. Elle disait qu'elle était faite pour mieux que ça ! Alors elle s'est remise à faire des études. Oh ! Pas grand chose ! Des études courtes. Relations internationales. Elle s'est prise de passion pour ça ! Elle a trouvé un job. Grâce à ça elle s'est sentie épanouie du jour au lendemain.

- Elle a quitté ton père ?

- Pas du tout ! Mais on ne la voit pas du tout ! Et maintenant me voilà ! Devant toi ! Mais pourquoi tu t'intéresses à ma mère ?

- Comme ça ! Je m'intéresse à ta famille ! À toi !

- Dewei ! Il n'y a aucun regret à avoir. J'étais content d'aider mes parents. C'était un moyen pour moi de me sentir utile à la société. De me sentir à l'aise !

Mon père était dur à la tâche mais on travaillait dans la bonne humeur. Regarde mes bras Dewei !

Xiao me montre ses bras. Il est fier de me montrer ses bras. Je ne me fais pas prier pour les regarder ! Je les admire. J'y suis autorisé. Ils sont superbes. Et de toute façon c'est ce que je pense depuis le début.

Xiao veut me faire plaisir. À mon intention il gonfle ses biceps. Impressionnant. Il va jusqu'à vouloir les faire exploser. Frimeur ! Mais j'en peux plus de les regarder ses bras.

Je suis admiratif. C'est à ce moment que je remarque ses tatouages. Pour la première fois je les vois sur toute leur longueur.

Sur ses deux bras depuis la naissance de ses deltoïdes apparaissent 2 à 3 dragons entrelacés qui terminent leur parcours sur les avant bras. Je n'avais jamais vu ça ! À part peut-être dans des films qui font apparaître des mafiosos. Arabesques harmonieusement dessinées mais avec seulement deux couleurs. Un dragon noir filiforme qui épouse un dragon rouge filiforme.

Xiao est tout fier de m'exhiber ses magnifiques tatouages ! Quel gamin !

J'avais pas remarqué avant mais depuis que j'ai ouvert les yeux Xiao évolue torse-nu dans l'appartement. La chaleur est moite. Étouffante.

Pékin est tellement pollué que la chaleur mêlée à la pollution colle à la peau comme une carapace.

Ça devient comme une seconde peau à laquelle on finit par s'habituer. On n'a pas d'autre choix. On finit par s'y habituer au bout de quelques jours.

Xiao reprend :

- Je travaille depuis l'âge de 17 ans ! Crois-moi Dewei ça forge un homme ! Je suis un vrai mec !

Xiao me fait son plus beau sourire. Je deviens son complice. Plus ça va plus il se sent bien avec moi. Et je me sens de mieux en mieux avec lui. Je sens qu'il m'à accepté. Il m'a adopté.

- J'en doute pas Xiao ! T'as une petite amie Xiao ?

Je sais pas c'qui m'a pris. C'est sorti comme ça. Question posée sans réfléchir. C'est parti comme ça. De façon spontanée. C'est trop tard pour revenir en arrière. Peut-être le mal il est fait. J'espère que non. Ce serait dommage. Trop con. Je ne peux pas reculer. C'est mon côté destroy. Provocateur. Toujours repousser les limites. Prendre le risque en une seconde de tout foutre en l'air. Dans le espoir ou l'inconscience d'obtenir des réponses immédiates.

C'est ça que j'attends de la vie. Des réponses. De la part des autres. Il faut que ça fuse. Tout de suite. Peut-être c'est une façon de masquer mon ignorance. De certaines choses. Il y a autre chose. Je suis un peu vicieux. C'est une façon de voir jusqu'où peuvent aller les autres en ce qui me concerne. Mon problème est plus lointain que ça. J'attends des autres autant que de moi. Si j'attends le maximum de moi je veux que les autres puissent m'offrir leur maximum. Je me suis pas posé la question essentielle :

Qui suis-je pour exiger autant des autres ? Je n'en ai pas le droit.

Il n'empêche. Depuis vingt minutes Xiao s'est tu. Il est muet comme une carpe. Ça fait un drôle d'effet. Je suis pas habitué. Jusque là il discourait sans cesse. Là plus rien. Ce silence soudain ça me fait peur. On sent comme un vide dans l'appartement. Comme un vent de contrariété.

Je sais ce qui ne va pas. Xiao est en pleine introspection. Il réfléchit.

Je me reprends.

- Xiao ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Je t'ai blessé. J'en suis désolé. Je te demande pardon.

C'est qu'avec ce mec que je peux m'humilier comme ça. Avec un autre jamais j'aurais fait ça.

Xiao me sourit. Ce sourire n'est pas comme les autres. Il est empreint d'une grande tristesse. Et d'une grande sagesse. C'est alors que je m'aperçois que je ne connais pas du tout Xiao. Je réalise qu'il a plein de choses à m'apprendre et qu'il m'enseignera un jour. Patience. Ça viendra.

Il n'empêche.

Bien qu'empreint d'une grande gravité son sourire m'accroche. Il m'appelle. Comme jamais un sourire auparavant. Il attend une réponse.

Je découvre le sourire de Xiao.

Manifestement il est entaché d'une grande souffrance. Incommensurable. J’apprendrais ça un jour. Il me racontera. J'en suis sûr. Je le sais déjà.

Il doit traîner ça depuis toujours. J'en suis sûr. Depuis tout petit. Depuis l'enfance.

- Dewei ... j'avais sept ans quand ça s'est passé. Quand j'ai compris.

- Compris quoi ?

- Comment te dire ? Tu sais bien de quoi je veux parler !?

- Je crois que oui. Tu es gay c'est ça ? Pourquoi tu le dis pas ?

- ... Mes parents l'ont deviné très vite. Ils l'ont décelé lorsque j'avais six ans. Ils n'ont rien dit pendant toutes ces années. Ils se voilaient la face. Comme beaucoup de parents en Chine. Comme beaucoup de familles. Je comprends. La politique de l'enfant unique imposée par les Autorités.

Dewei je soupçonne même que c'est à partir de ce moment que mes parents ont redoublé de travail. Ils se réfugié dans le boulot précisément à ce moment-là. Ils ne voulaient pas voir. Ils ne voulaient pas regarder la vérité en face. Pourtant à partir de ce moment ils n'ont pas cherché à me changer. À me transformer. Dewei tu sais qu'il existe des cliniques pour ça ?

- Pour quoi ? L’état ferme les yeux. Corruption. Perversion. Ce sont des cliniques privées censées te guérir de ton homosexualité !

- C'est quoi ça Xiao ?

- Elles existent ! Elles emploient des thérapies basées sur des décharges électriques pour te soigner de ce que tu es. Ça existe Dewei. Je remercie les dieux car je m'estime heureux. J'ai eu de la chance. Mes parents sont intelligents. Ils ne m'ont pas envoyé là bas. Ils savent. Ils comprennent. Et puis je suis leur fils. Le seul fils qu'ils ont.

Alors tu penses ! Mais un jour lorsque ai été en âge de comprendre j'avais dix neuf ans on s'est réuni en famille tous les trois autour d'un repas. Ils ont voulu marquer le coup.

- Pourquoi Xiao ? Pour quoi faire ?

- Pour me dire :

" Xiao tu es différent. Ça on l'a compris depuis le début. On fait avec. On a fait avec. Mais je pense que tu sais ce qu'on va te dire. Tu le sens déjà. Tu le sais.

Xiao on te demande une chose. Juste une chose. On t'aime Xiao. Tu es notre fils. Notre seul fils. On tient énormément à toi. Xiao tu es en âge de te remarier. Tu as l'âge où l'on prend femme pour épouse. Je voudrais on voudrait que tu prennes une bonne épouse. Pour la descendance. Pour la tradition. Pour nos ancêtres. Il est inconcevable que tu vives comme célibataire. Tu es différent. Prends une épouse compréhensive. Ça se fait de plus en plus. Tu peux vivre caché. Mais pour la façade tu seras marié. Tu pourras même avoir un fils.

- Dewei ! Je n'ai pas répondu. Je n'ai rien dit. Je ne pouvais pas. J'avais une grosse boule dans la gorge. Impossible de parler. De m'exprimer. Et surtout pour la première fois j'ai ressenti un profond sentiment d'injustice. De révolte. Pour la première fois j'ai senti tout le poids qu'un pays pouvait faire peser sur les épaules d'un individu. Sur plusieurs individus. Sur une minorité. Dewei ! J'ai eu les larmes aux yeux. Ils ont feint l'indifférence. Seul comptait pour eux de avoir un petit fils pour perpétuer la lignée. De moi de ma vie ils en avaient rien à foutre. Mais en même temps je réalisais que ce serait non. Je n'ai rien dit pour éviter le conflit. J'aime trop mes parents. Mais déjà je savais que je ne me marierai pas. Dewei ! Jamais ! Dès le départ j'avais choisi. J'avais pris ma décision. Au moment même où on nous apportait le dessert. Dewei j'ai fait un choix de ma vie. De la vie que je veux avoir. Que j'avais décidé d'avoir.

Dewei ! Qu'aurais je pu répondre ?

- Je sais pas Xiao. Ta décision même mutique a été la bonne. Elle a été la meilleure.

C'est une décision très courageuse. Je t'admire pour ça.

Xiao moi j'ai de la chance. J'en ai eu plus que toi. Pour moi ça a été plus facile. Plus simple.

J'ai toujours su que j'étais gay. Comme toi j'ai compris tout de suite que j'étais pas comme les autres. Ça ne m'a pas vraiment gêné. Je l'ai accepté d'emblée.

Mais dans ma tête même lorsque j'observais mes copains de classe pour moi chacun était différent. Mais à sa façon. Par exemple il y en avait qui savaient jouer au football. D'autres pas. Ou qui préféraient les arts martiaux. D'autres pas. Pareil pour le dessin. La littérature. La géographie. L'histoire. Les filles. Les sorties en plein air. La couleur de peau. Le physique ! Tu vois Xiao nous sommes sept milliards d'êtres humains sur cette terre. Eh ben il n'y en a pas un qui se ressemble ! C'est ça qui est étrange !

- Comment tu sais tout ça ?

- Je le sais pas ! Je le sens ! Quand on se sent différent on se dit que peut être chacun est différent à sa manière ! Et tu sais pas plus extraordinaire encore !

- Quoi ?

- Eh ben les sept milliards ça ne représente que 7% de tous les êtres humains qui ont déjà peuplé la terre ! Et tous ont été différents !

Là je vois que Xiao n'en revient pas !

Putain à ce moment je sais pas ce qu’il me prend. Ce qui m'arrive. J'ai une érection soudaine. J'ai envie de lui. J'ai envie de ce mec. Ça peut pas attendre. Si. Ça attendra.

À en crever. À en mourir. C'est physique. Animal. Humain. Incompréhensible. Irréversible. Irrépressible. Pulsion ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas. D'où ça vient ?

Non sans peine j'arrive à me contrôler. Pas maintenant. Pas encore. C'est trop tôt. Et lui serait-il d'accord ? Accepterait-il ? Comprendrait-il ?

Bien sûr la vérité c'est que je commence d'éprouver quelque chose pour Xiao. Je ne le nie pas. C'est vrai.

Je veux rester discret. Je mets les mains sur mon pantalon pour masquer mon émoi.

Pourquoi Xiao a t il besoin de se confier comme ça ? De me faire confiance comme il le fait. De vouloir tout me dire ? De sa vie de ses parents de sa famille de lui même ? Et d'abord pourquoi est-il toujours torse-nu ?

Toujours est-il qu'il ressent le besoin de me parler. De se confier à moi. J'ai l'impression qu'il ne connaît que moi. Que je suis son seul ami. Son confident. J'en ressens comme une fierté.

Je suis flatté que Xiao m'accorde une telle confiance. Jusqu'au point de me laisser seul chez lui. De me confier ses clés. De vouloir faire un double pour moi dans les jours à venir.

Pourquoi ?

Je réfléchis. Il se sent en confiance. Il m'apprécie. J'aime bien Xiao.

J'aime Xiao.

Je l'observe. Je le regarde évoluer dans ce petit appartement. Dans ce deux-pièces. En plus je ressens cette attirance physique. C'est indéniable. C'est évident. C'est vrai. Je ne suis pas insensible à ses épaules tatouées. À ses muscles saillants. Pourtant il ne fait rien pour se mettre en valeur. Toujours le même débardeur

Blanc le plus souvent. Parfois bleu marine. Il s'en fout on dirait. Il a bien raison. On n'est que tous les deux.

J'avoue que de le voir évoluer ainsi dans cette chaleur moite et polluée de Pékin me donne des émotions folles. Voir ses pectoraux jouer sous sa peau luisante et cuivrée ça me donne des émotions jamais ressenties avant.

Xiao possède un style gros bras camionneur déchargeur de ballots sur les quais qui m'attire beaucoup.

- Dewei tu m'écoutes ?

Je sors de mes rêveries.

- Xiao ? Excuse moi je rêvais. J'étais ailleurs.

Xiao reprend le cheminement de sa discussion.

- J'étais au mariage de mon arrière grand mère. Quand elle est morte elle avait 93 ans. Un bel âge !

Elle a toujours vécu dans le monde rural. Le monde paysan. Une vraie paysanne qui se levait très tôt. À partir de 4 heures. C'était un autre monde une autre vie même si ça existe encore aujourd'hui. Tu vois Dewei j'admire cette vie en communion avec la nature. Cette vie où c'est toi qui t'adapte à la nature. Aux animaux. Au lever du soleil. Au coucher du soleil. Elle connaissait cela depuis son enfance. L'être humain doit s'adapter à la nature. Pas l'inverse. Comme les autres dès l'apparition des premiers rayons de soleil elle devait labourer et semer. Ça se faisait en famille. Chacun devait mettre la main à la pâte. Il n'y avait pas d'autre issue possible.

Dewei ! Une vraie paysanne ! Ma grand-mère était une vraie paysanne. Authentique.

Et j'en suis fier. On n'imagine pas à quel point la vie des paysans est une vie rude. J'ai même l'impression que dans la Chine nouvelle ce sont les laissés pour compte de la Chine.

- Tu veux dire quoi ?

- Je veux simplement dire que coexistent aujourd'hui deux Chine radicalement différente. Opposées. Le Ying et le Yang. On peut le prendre comme ça. Deux mondes différents. Deux Chine qui se côtoient mais qui s'ignorent. Qui se voilent la face. Chacune refuse de voir de regarder l'autre.

D'un côté une misère extrême. Celle des paysans.

T'as entendu parler des Mingongs ?

- Non. C'est quoi ?

- Ce sont des paysans mais aussi des ouvriers qui vont chercher du travail en traversant les villes. Ce sont des nomades. Ils sont des millions à se déplacer ainsi à travers toute la Chine. Je sais pas si on peut parler de transhumance. Non c'est autre chose. Ça s'appelle autrement.

C'est différent.

Ils me rappellent les migrants américains au dix neuvième siècle. Au moment de la ruée vers l'or. Ils étaient aussi plusieurs milliers à chercher du travail en se déplaçant. Avec l'espérance l'espoir de pouvoir s'enrichir.

La ruée

Dewei !

Une partie de ces migrants suivait chaque jour le chemin de fer qui se construisait. Aujourd'hui en Chine ces migrants cherchent à améliorer leur niveau de vie. Dewei ! Les campagnes les travaux des champs les petites exploitations tout ça ne rapporte plus rien. Ces gens là ces pauvres ces paysans ces ouvriers aujourd'hui ce sont les laissés pour compte du miracle économique chinois. Ce sont les migrants à l'intérieur de la Chine.

Dewei tu sais combien ils sont aujourd'hui ?

- Plusieurs millions ?

- Dewei ! Dis un chiffre !

- ...

- Deux cent millions ! C'est la grande migration des campagnes vers les villes. Je crois même que c'est une migration comme la Chine n'en a jamais connue.

Mais ce n'est pas tout ! Et c'est pas le pire Dewei !

- Pourquoi ?

- De l'autre côté tu as ceux qui se sont enrichis comme des malades. Comme des fous ! Ils ont pris la Chine pour un casino. À l'échelle mondiale. L'attrait de la richesse. De l'argent. Du pouvoir. De la réussite. Ce qui favorise la corruption lorsque les gouvernants laissent faire. Sous couvert de permettre à la Chine d'accéder à un rang et un statut international !

- Que veux-tu dire Xiao ?

- Ce que je veux dire c'est que sous couvert de démocratie et de libéralisme les gouvernants laissent faire la course au fric quels que soient les moyens utilisés. Et au passage ça leur permet de s'en mettre plein les poches !

- T'exagère pas un peu Xiao ?

- Comment ça ?

- Dewei il y a quand même quelque chose de bizarre en Chine aujourd'hui !

- C'est quoi ?

- C'est quoi ? Comme par hasard 90% des gens les plus riches aujourd'hui en Chine sont des enfants de hauts fonctionnaires ! Tu ne trouves pas ça étrange ?

- ...

- Corruption Dewei. C'est le seul credo aujourd'hui de la Chine.

- Xiao. Ne sois pas négatif. On va s'en sortir. Un jour ou l'autre. C'était évident que favoriser un libéralisme sans limites allait générer des avatars une corruption énorme dans le pays. Xiao pour accéder au statut de puissance internationale quelle autre solution avait la Chine ?

- Je sais pas Dewei. Peut-être que sans cet essor économique de sauvages on en serait encore à l'ère du monolithique. À l'âge de la pierre. De la paysannerie moyenâgeuse ! Peut-être que c'est toi qui a raison Dewei !

- Xiao ! Ce que je pense moi c'est qu'on n'avait pas d'autres moyens de s'en sortir économiquement. C'était le seul moyen d'y parvenir ! Même si ça a engendré une corruption énorme. Impossible à éradiquer. Il faudra des années avant d'y parvenir ! Xiao ! Moi je dis que pour un pays d'un milliard d'habitants on n'avait pas le choix. Il fallait absolument sortir du communisme. Des années Mao. De la paysannerie. De la misère. De la pauvreté. C'est vrai qu'au début Mao demandait trop aux paysans. Il leur a demandé de passer tout de suite à la vitesse supérieure. Ça a été trop vite. Trop fort. D'un coup ! D'ailleurs ça a été un échec ! Xiao ! Au fond je sais bien que tout ça n'a pas vraiment changé. Je sais ! Il faudra des dizaines et des dizaines d'années avant que cela ne change vraiment ! Mais j'y crois moi Xiao. J'ai 21 ans ! J'ai de l'espoir ! Des idées ! De la conviction ! Et surtout de la détermination ! T'entends ?

Comment tu sais tout ça Xiao ?

- En lisant les journaux ! Tous ! Je suis avide de tout savoir ! De tout connaître ! Et pas seulement les journaux du parti ! Je prends tout ce qui m'intéresse ! Même les tracts que l'on distribue sous le manteau ! Les journaux clandestins ! Qui paraissent que quand on leur en laisse la possibilité !

- Xiao ! Il s'est passé quoi après le Grand bond en avant de la paysannerie qui s'est avéré être un échec ?

- Le pire que tu puisses imaginer ! Une famine sans précédent s'est abattue sur la Chine ! Pendant un temps Mao a été écarté du pouvoir. Pour mieux revenir en lançant sa fameuse révolution culturelle ! Tous les intellectuels chinois ont été envoyés dans les campagnes pour être rééduqués. Pour ça Mao s'appuie sur la jeunesse en l'embrigadant dans les gardes rouges.

- Et alors tes parents dans tout ça ? Comment ont-ils vécu tout ça ? Ce pan entier de l'histoire de la Chine ? Peut-être le plus important ?

- Dewei quand mes parents se sont connu ils n'avaient qu'une idée en tête c'était de partir à Pékin pour monter leur entreprise de grainetiers. Rêve de réussite qui pour eux passe par le commerce. Pour mes parents réussir sa vie c'est posséder un commerce ! Et en contrôler les revenus ! Être son propre patron ! Ils ont essuyé toutes les humiliations qu'on a pu leur faire subir. Je sais pas comment mais ils ont réussi à traverser toutes les époques troublées de la Chine. En réalité au moment de la Révolution culturelle mon père a fait partie des millions de jeunes instruits qui ont été envoyés à la campagne pour être rééduqués. Je ne voulais pas t'en parler ! Il ne fait pas bon aujourd'hui de rappeler qu'on est issu d'une famille d'intellectuels ! Mon père a donc été rééduqué par des paysans qui avaient pour mission cela. Au début ça a été très dur. On lui a pas fait de cadeaux. Il en a bavé pendant deux années pleines. Après c'est bizarre. Peu à peu il s'est mis à découvrir la vie paysanne. À l'aimer. C'est bizarre. L'idée de Mao était que les intellectuels devaient passer le restant de leurs vies dans les campagnes. Sans espoir de retour. Et pourtant la donne a changé. Mao est mort. Et certains intellectuels ont été réhabilités. Mon père est revenu. Mais il était brisé. Traumatisé. Il a compris qu'en Chine mieux valait être un négociant libre qu'un intellectuel vivant dans la peur au quotidien.

- Comment il a fait pendant ces années passées à la campagne ?

- Dewei ! En baissant la tête ! En ployant sous le joug ! En pliant comme le roseau afin de ne pas être broyé par la machine communiste. Par le système. Dewei ! Ce que je retiens c'est que aujourd'hui mes parents ils sont là ! Ils sont vivants !

Et je suis là. N'est-ce pas le plus important ? Et je suis là à discuter avec toi. N'est ce pas merveilleux ?

Quand mon arrière grand-mère est morte la cérémonie a été très belle. Émanation d'une autre époque. D'un autre temps. D'une époque révolue. Une Chine traditionnelle. Avant l'ère Mao. Mon arrière grand-mère avait été achetée par la famille de mon arrière grand père alors que celui-ci était encore un enfant. La famille de mon arrière grand père était une famille pauvre. Et pourtant mon arrière grand mère a tenu. Elle a résisté. Et finalement lorsque mon arrière grand père est devenu adulte contre mauvaise fortune bon cœur mes grands-parents ont réussi à vivre ensemble. De telles pratiques existaient avant. C'était des pratiques issues de la Chine impériales. Elles avaient cours souvent. Elles ont été abolies par Mao.

- Xiao tu as pu recréer des liens avec ta famille ?

- Non. Trop longtemps sans se voir. Et surtout trop éloignés les uns des autres. Pas les moyens financiers pour pouvoir voyager. C'était voué à l'échec.

Et pourtant ! Je misais beaucoup sur cette cérémonie qui m'aurait permis de créer des liens. De recomposer ma famille en quelque sorte. Avec mes parents nous nous sentons parfois bien seuls. Retrouver les siens c'est quand même ressourçant et enrichissant ! À défaut de mieux cet enterrement a été l'occasion pour nous de nous réunir une dernière fois.

Sans savoir ce que les uns et les autres allaient devenir. Sans savoir si on allait se revoir.

- Pourquoi tu dis ça Xiao ?

- Parce que depuis cette réunion familiale on ne s'est jamais revu. C'est toujours comme ça dans les familles. C'est souvent ainsi.

Tu élabores plein de projets et tu espères revoir tout le monde ! Et après plein de bonnes promesses personne ne se revoit ! Dewei ! Chacun a évolué de façon tellement différente que le fossé s'est agrandi entre chacun !

- Justement Xiao c'est un bon moyen d'apprendre sur les autres ! Sur nous-mêmes.

- Je sais pas Dewei ! Au final tu ne vois personne !

- C'est un peu normal ...

- Pourquoi ?

- Chacun va de son côté. Fait des rencontres. Elles orientent la vie de chacun.

Et là je comprends plus. Les yeux de Xiao s'embuent. Il a les yeux humides là. Je le vois. Pourquoi ? Qu'est ce qu'il se passe ?

- Ça va pas Xiao ? Qu'est-ce-qu'il t'arrive ?

Mon cœur se met à battre très fort car je crois savoir de quoi il s'agit.

Xiao raconte.

- J'attendais tranquillement derrière mes parents. Du haut de mes onze ans. Je regardais se dérouler l'enterrement de mon arrière grand-mère. J'observais ce qu'il se passait sans vraiment faire attention ! Je commençais à réaliser quelque chose. Alors que mon arrière grand mère traverse le grand rideau qui symbolise le passage de la vie à la mort c'est à ce moment-là que j'aperçois au loin sur le côté gauche mon cousin Deng de deux ans plus âgé. Je ne comprends pas ce qui se passe en moi à ce moment-là. Comme un déclic au moment même où je prends conscience que Deng m'observe. Dewei c'est purement inconscient !

J'étais trop jeune pour réaliser jusqu'où allait m'amener cette prise de conscience.

Mon cousin. Deng. Rondouillard. Les traits très fins. Les sourcils épilés. C'est bizarre pour un garçon qui a à peine treize ans. Il a dû faire ça tout seul dans sa chambre. Un essai devant la glace. Je me sens observé et ça me gêne. Je ne peux m'empêcher de le regarder à mon tour comme s'il était en train de se passer quelque chose dans nos têtes respectives. Deng me regarde avec intensité. Comme s'il cherchait quelque chose. Comme s'il se posait des questions à mon sujet. Soudain je me sens mal à l'aise. En même temps je ne comprends pas pourquoi il me regarde et en même temps je comprends pourquoi mais j'arrive pas à le formaliser.

Je ne peux pas m'empêcher de tourner à nouveau la tête vers lui. Je rougis. Pourquoi ? J'en sais rien ! Dewei !

- Moi je sais Xiao ! Je sais pourquoi.

- Dewei ! Soudain je ressens une fragilité à me faire défaillir. Mais j'arrive à tenir debout. Je suis vulnérable. Personne ne se trouve autour de moi pour m'expliquer ce qu'il se passe dans ma tête.

Il n'empêche ! Je suis paralysé sur place. Je suis scotché par le regard de Deng. Lui aussi il n'arrive pas à décrocher son regard du mien. Il a peur. Il a peur qu'on se regarde comme ça. Sans comprendre ce que l'un ressent pour l'autre.

J'ai onze ans. Deng en a treize !

Deng ! Je réalise qui je suis dans la minute qui suit !

- C'est quoi Xiao ?

- Deng me regarde avec un regard de fille. Je sais pas pourquoi mais je pense ça tout de suite. Je le vois. Mû par un je ne sais quoi je traverse la foule de tous ces adultes amassés devant le cercueil de mon arrière grand mère. Dewei ! C'est surréaliste ! Je contourne le cercueil de mon arrière grand-mère par l'arrière et je me retrouve nez à nez avec Deng. En contournant le cercueil de grand-mère je remarque que celui-ci est tout bariolé. Comme un oiseau d'Orient. Je reconnais bien là ma grand-mère qui voulait que son cercueil ressemble à un gros oiseau tout coloré !

Je reconnais ce que fut ma grand mère et le souvenir qu'elle laissera dans ma mémoire. Une femme en avance sur son temps. Elle a connu l'ère de Mao Zedong. Je me rappellerai toujours d'un truc qu'elle m'avait dit lorsque j'étais enfant. J'avais sept ans :

- Xiao je sais bien que le Grand Timonier n'a pas fait que des choses bien. Mais je suis d'accord avec lui sur un point fondamental : il ne pouvait pas faire autre chose que ce qu’il a fait pour la Chine

- Tu vois Dewei cette génération a été très marquée par Mao. Grand mère se sentait des ressemblances avec Mao.

- Pourquoi ?

- Parce que Mao lui aussi a grandi dans une famille de paysans aisés. Mais il y a un truc qu'il n'a pas supporté.

- C'est quoi ?

- A l'époque la Chine était humiliée par les grandes puissances de l'Occident. Pour faire face à tout ça Mao s'est dit que la Chine ressemblait à un atome qu'il fallait faire éclater à tout prix. Pour lui c'était le seul moyen de libérer la Chine de sa période ancestrale. De l'ancienne Chine qui croulait sous le poids des traditions des régimes féodaux des dynasties qui étaient indétrônables. Pour Mao faire éclater la Chine ça lui donnerait une force exceptionnelle ! Ce dont elle avait besoin pour prendre sa place parmi les plus grandes puissances de la planète. Ce qui est surprenant dans sa conception d'un état nouveau c'est que Mao ne voulait pas d'une mise en douceur. Il lui fallait un changement radical de tout ! De toutes les structures internes des modes de pensée de ses contemporains. Par dessus tout il fallait réformer l'économie ! C'était déjà en soi un mode de pensée moderne.

Je continue mon chemin à travers la foule des invités. Aimanté par le regard de Deng. Attiré par lui de façon irrépressible.

Deng a compris quelque chose. Sur lui-même. En moi j'en suis certain il a dû reconnaître un double de lui même. Un alter ego. Une image ou une reproduction de lui même. De ce qu’il est.

Je passe derrière tout ce monde pour aller rejoindre mon cousin. Et là je me trouve face à lui. Alors sans réfléchir sans même prendre le temps de le regarder plus encore je l'embrasse sur la bouche. Comme une fille. Comme font les filles. Ce baiser ne passe pas inaperçu. Tout le monde l'a remarqué.

Mes parents l'ont vu aussi. Ils paraissent inquiets. Ils ont remarqué mon manège. Depuis le début. J'en suis sûr.

À ce moment précis maman se précipite vers moi. Elle reste devant moi sans comprendre. Interdite.

Elle ne sait pas quelle attitude adopter. Quel comportement adopter face à ce qu'elle vient de voir. Alors mue par un réflexe à la con histoire de me récupérer face à quelque chose qu'elle ne comprend pas et qui la dépasse elle me gifle à toute volée. Humiliation suprême. Je me sens humilié. Je ne lui pardonnerai jamais ce geste. Puis dépassée par elle même par son geste cette attitude incompréhensible elle ne trouve rien de mieux que de s'agripper à moi à mon épaule et me rejette en arrière. Avec une violence inouïe. Sa colère n'est pas tombée. Au contraire elle est décuplée par la honte qu'elle éprouve maintenant aux yeux et au su de tous. Tout le monde sans exception a remarqué la scène.

Maman me fait mal très mal à l'épaule. Je souffre le martyre. Ce n'est rien par rapport à l'humiliation subie.

Tout en ne quittant pas Deng du regard je recule. Doucement. J'ai goûté au fruit interdit. Deng ne comprend pas ce qu’il s'est passé lui non plus. Il est désemparé. Je sais ce qu'il ressent à ce moment : une horrible une effroyable solitude. Mais curieusement du haut de ses treize ans je vois qu'il ressent ou plutôt qu'il vit autre chose.

C'est évident. Pour lui ce qu'il s'est passé ce n'est pas une révélation c'est tout simplement une chose naturelle de la vie. Quelque chose de parfaitement évident lié aux choses de la vie. Ça relève de la nature. Des êtres. De ce qu’il peut advenir entre eux. Une chose aussi naturelle que de boire ou manger.

Je réalise que pour lui depuis toujours Deng sait pour lui. Il en a toujours été ainsi. Il ne s'est jamais posé plus de questions que ça. Pour lui c'est une évidence. Il est du côté fille. Il ne s'est jamais considéré comme un garçon. Deng est née fille dans un corps de garçon. Il me l'avouera quelques années plus tard lorsqu'à vingt trois ans Deng décidera de transformer son corps de garçon en celui d'une fille.

Dans l'assistance certains ont compris la scène. Et à nos âges ce qu'elle pouvait impliquer pour l'avenir. Il n'empêche en majorité ils font semblant de ne pas comprendre. De ne pas avoir vu. De ne pas avoir compris.

Moi je ressens tout ça comme une découverte. Une prise de conscience. Je crois que je suis devenu adulte à cet instant même. Je sais qu'à partir de ce moment rien ne sera plus jamais pareil. Dans ma vie. Dans ma perception des autres. Dans mon comportement avec eux.

Tout sera différent désormais. Que je le veuille ou pas.

Après cet aveu de Xiao moi Dewei je baisse la tête. Nous baissons la tête tous les deux. Pensifs. Analyse. Rétrospection. Dans ma tête je recense tout ce que Xiao a enduré depuis l'enfance. Mais là maintenant je ne veux pas l'interroger plus que ça. Je ne veux pas qu'il craque. Là. Devant moi. Je veux m'accorder du recul. La possibilité de le consoler. D'être là. Au moment où il en aura le plus besoin. De cette façon je veux lui montrer toute l'étendue de l'amour que je peux lui apporter. Que je pourrai lui apporter demain. Dans le futur. Dans un avenir proche. Qu'il n'imagine même pas. Je veux pas le faire souffrir plus que ça. Mais moi aussi Dewei je ressens le besoin de parler. De lui parler. D'échanger des paroles avec lui. De ressentir une symbiose avec ce mec. J'ai envie d'en savoir plus sur ce mec car je sens naître en moi un début de sentiment amoureux. Quelque chose d'incontrôlable. J'ai envie d'en savoir plus sur lui. Ça y est. C'est lâché.

Et comme si tout ça ne suffisait pas je commence à sentir poindre en moi le désir. Comme un début d'excitation. Mon corps parle. Il a besoin de ce mec désormais pour se sentir en équilibre. En harmonie avec la nature. Et puis là maintenant je voudrais que Xiao lui aussi puisse jouir de mon corps. Sans entrave. Sans retenue aucune. Et sans pudeur. Jamais ce con dont je tombe amoureux un jour il met un t-shirt à manches longues pour masquer ses gros bras tatoués ? J'ai envie de lui et ça me démange le cerveau ! Je me reprends. Et je lui parle. À nouveau. Encore et encore.

- Xiao ! Il n'y a aucun mal à ça ! À tout ce que tu me racontes !

Là Xiao tourne la tête vers moi. Il ne dit plus rien. Et puis il baisse la tête à nouveau. Pensif il regarde droit devant lui. J'ai l'impression de ne plus être là. De ne plus exister pour lui.

Plein de choses fourmillent dans sa tête. Dans son esprit. Dans son cœur.

- Et alors Dewei longtemps après je me suis posé des questions. Les bonnes questions.

Et après plusieurs signaux et mises en garde de mon esprit après plusieurs alertes qui émanaient de mon cœur j'ai compris.

- T'as compris quoi ?

- Tu sais bien ! J'ai compris que j'étais ...

- Que j'étais quoi Xiao ? Dis-le ! C'est important ! Pour toi ! Pour moi ! Pour tous les deux !

- Pour tous les deux ?

- Ben oui !

Je ne sais pas pourquoi. J'ignore ce qui me traverse l'esprit à ce moment-là. Une pensée perverse. Mon moi méchant. Mon mal intrinsèque. Je sais pas. Peut-être la cause c'est que je ressens un tel désir pour lui qu'il me fasse l'amour que je lui fasse l'amour que je ne sais plus où j'en suis. Ni ce que je fais. J'implore mes dieux et mes ancêtres pour leur demander ce que je dois faire. Je les interroge pour savoir ce qu’il se passe en moi. Pas de réponse. Je dois continuer mon chemin. Suivre ma route. Tels qu'ils m'ont été définis par un dieu étranger. Ça doit être ça. Ça ne peut être que ça. Je ne vois pas d'autre issue.

Je reviens à la réalité.

Ce que je sais ce que je veux là tout de suite c'est que Xiao crache le morceau. Enfin. Une bonne fois pour toutes. D'un coup. Je veux du définitif. Qu'il éructe. Car ça m'énerve. Grave. Je veux que Xiao crache son morceau. Son histoire. Une forme d'exutoire. De catharsis.

Alors je réagis.

Je me lève du lit. Avec brusquerie. Je manque renverser mon bol de pâtes.

À ce moment là Xiao se lève lui aussi.

Il fait crisser sa chaise sur le plancher. Il s'assoit à côté de moi. Je sens son odeur. Plutôt je la respire car je la découvre. Du coup surpris je me rassois sur le lit. Avec fracas cette fois ci.

Le sommier crisse. Matelas à ressort. Ça fait du bruit. Lit bon marché. Xiao se rapproche de moi. Nous sommes là tous les deux sur le bord du lit. Xiao est en colère. Moi aussi nous sommes proches l'un de l'autre. Nous n'avons jamais été aussi proches l'un de l'autre. Torse nu tous les deux plein soleil qui traverse la vitre la sueur due à la chaleur de la pièce moiteur odeurs de transpiration la sienne la mienne tout ça commence de m'enivrer.

Avec brusquerie Xiao repousse la table en formica face à nous. Pendant vingt bonnes minutes nous regardons les vestiges de nos bols. Xiao mon ami je le considère comme mon ami maintenant et moi Dewei on comprend pas ce qui nous arrive. Nous nous retrouvons comme deux enfants pommés timides maladroits désemparés laissés à l'abandon. Quelque chose nous dépasse. Tous les deux. Il n'y a personne pour nous aider personne qui puisse répondre à nos questions intimes. Qui puisse nous expliquer ce qui se passe entre nous deux.

Nous sommes livrés à nous mêmes dans le néant de la sexualité de l'amitié de l'amour d'une histoire entre hommes.

Silence de plomb dans la pièce. Accord tacite. Non dit. Ça doit être ça. C'est ça. Xiao et moi sommes perdus dans nos pensées. Dans nos obsessions. Dans nos fantasmes.

Chacun se pose des questions l'un sur l'autre.

Sur mon côté gauche je sens comme un mouvement. Un frémissement. Un bruit de draps froissés. Je sens la main de Xiao qui me cherche. Qui veut me toucher. Me palper. Me sentir. Sa main cherche la mienne. Je le découvre. Je ne m'y attendais pas.

Je m'y attendais. Il regarde droit devant lui. Son regard effleure le plancher sans le regarder vraiment. Il n'y fait pas attention. Il l'ignore.

Dans sa main rien d'autre que le besoin d'être réconforté. Pour le moment. Pour l'instant.

C'est ce que je crois.

Xiao saisit ma main droite. Je le sens pas à l'aise. Très gêné. Il tient ma main en la serrant fort. Pour un peu il me ferait mal. Très mal.

Il regarde toujours le plancher devant lui. Non ce sont ses pieds qu'il regarde. Comme s'il avait honte. Ça ne le trouble plus. Je sens les doigts de sa main qui entrent dans les miens. Ils viennent de se croiser. Je me dis qu'il y va peut être un peu trop fort. Tout ça me fait peur. J'ai le cœur qui bat la chamade. Il bat de plus en plus vite.

C'est la première fois qu'un garçon me fait des avances comme ça. Avec autant d'énergie. D'assurance. De certitudes. C'est légitime.

Xiao je le devine il sait ce qu’il fait. Il en a envie dès le début de notre rencontre. Je réalise. Moi aussi.

Xiao persiste. Cette situation commence à devenir intenable. Pour lui. Pour moi. Pour nous. Pourquoi se faire du mal comme ça ? À tous les deux ? C'est le poids des traditions ? Des siècles de tradition qui l'empêchent qui nous empêchent d'être nous mêmes ? Qui nous empêchent d'aimer comme on veut ? D'être nous mêmes ? Mais au bout d'un moment il faut dépasser ça ! Prendre des risques ! Par rapport à la société par rapport aux autres par rapport aux militaires ! Au gouvernement ! Aux autorités ! À Tiananmen !

Mais non. À lui seul Xiao porte le poids de tout ça. J'ai l'impression qu'à lui seul il porte ou il veut porter je sais pas le poids de l'humanité toute entière. De la Chine. C'est impossible Xiao ! T'es pas tout seul ! T'es pas le seul en Chine à être comme ça ! Mais Xiao est gêné. Il sait ce que je pense. Ce que j'en pense. Mais je ne désespère pas. J'aurai Xiao. Je veux Xiao. Non pour le posséder le forcer. Non. Il ne m'appartient pas. Il ne m'appartiendra jamais. Il est libre.

Xiao regarde toujours devant lui. Comme s'il n'allait pas aller plus loin. Dépasser le stade de la simple amitié. Mais c'est moi qui vais pas bien. Je veux plus que ça avec Xiao. Du sexe ! De l'amour ! Une vie ! Je veux construire avec Xiao. Je le dis. Je veux assumer. Réaliser ça avec lui. Il a besoin de moi. Il recherche un équilibre. Moi aussi. Avec lui. Avec moi. Moi avec Xiao je veux une amitié entre garçons. Forte. Virile. Érotique. Sexuelle.

Violente.

Après il en fait ce qu'il en veut.

Xiao ne me regarde pas en face. Il s'obstine à fixer le plancher. Ça me fait chier. C'est intenable.

Je veux que ça vienne de lui même.

Je veux que l'on passe à l'acte sexuel.

D'un commun accord. Je veux que Xiao soit prêt pour ça.

Xiao prendra le temps qu'il faut.

Je ne veux pas précipiter les choses. Tout foutre en l'air parce que mon corps ma libido n'en peuvent plus d'attendre aussi longtemps.

Xiao est un bien trop précieux pour moi pour que je saccage tout en quelques minutes.

Il n'est pas prêt.

Je le suis.

Il ne l'est pas. Ça n'a pas d'importance.

J'attendrai.

J'attendrai.

J'ai pitié de lui. Il souffre. C'est horrible. C'est l'enfer.

Tous les deux torse-nu nous nous allongeons sur le lit.

Encore.

Rien ne se passe.

Nous restons silencieux.

Xiao tourne la tête vers moi.

- Dewei ?

- Oui ?

- Je suis gay.

- Je sais Xiao. Tu me l'as déjà dit. Mais là ça sort vraiment. Pour moi c'est une invitation. Au futur. À une vie meilleure. À une vie heureuse. Heureuse ?

Je sais pas. Tu verras. On verra. Je me pose la question Xiao.

Je n'en suis pas si sûr. Écoute Xiao le problème c'est pas ça.

Gay ou pas gay Xiao t'es un mec bien. Je l'ai vu tout de suite. Ce sont des choses que l'on ressent tout de suite. Au premier contact. Dès les premières minutes.

Xiao! Tu me plais.

Je te le dis franchement il y a tout chez toi qui me plaît.

Tu me plaît beaucoup.

Et là je me pose pas la question de savoir si je suis gay moi même ou pas. Si je le suis vraiment. Une fois de plus je suis en proie au doute. Mais ça n'a pas d'importance. Au fond tout ça n'a pas d'importance.

- Xiao si je suis vivant aujourd'hui c'est grâce à toi. C'est ça que je sais.

Tu m'apportes beaucoup Xiao. Et moi Xiao qu'est ce que je peux t'apporter ? Tu m'as récupéré dans ce bar.

T'étais pas obligé de le faire. On n'est pas obligé de faire des choses qu'on n'a pas envie de faire.

Pourquoi tu l'as fait Xiao ?

- Dewei si je l'ai fait c'était sans arrière pensée. Je l'aurais fait pour n'importe qui.

Dewei je peux te demander une faveur ?

- Xiao dis-moi ?

- J'ose pas. C'est tout con. C'est bête.

- Dis toujours ! On verra bien !

- Dewei tu peux rester quelques jours chez moi ? Rester un peu avec moi ?

Ça ne m'étonne pas de Xiao. Pudique comme il est. Tout en pudeur. C'est à moi à l'apprivoiser. C'est mon travail maintenant. À moi à lui apprendre à se connaître. À savoir qui il est. À lui faire connaître des choses qu'il ne sait pas de lui. Qu'il ne connaît pas encore.

- Xiao ! Oui ! Je le souhaite depuis le début. Je n'osais pas te demander. T'en parler ! Ceci dit pour être franc sans vouloir abuser de ton hospitalité Xiao je t'avouerais que je n'ai nulle part où aller. Ça tombe bien ! Je suis franc ! Je dis les choses telles que je les pense. Mais il y a autre chose Xiao je veux te connaître. Et là aussi je dis ce que je pense. Ce que je ressens.

- Tu n'as pas envie de retourner chez les tiens après tout ça ?

- Pour quoi faire ? Non ! Je ne veux pas retourner au Jiangxi. Mes parents croient toujours que je suis étudiant. Ce que je suis toujours bien sûr même si je veux m'orienter vers la contestation. Le combat. Le militantisme. La lutte. Tu vois Xiao Tiananmen ça m'a ouvert les yeux. J'ai bien cru y passer. Et bien non. Mais ça m'a changé. À jamais. Xiao avec ce que j'ai vu je ne serai plus jamais le même. Ça m'a transformé. Et puis Xiao tu sais il y a encore autre chose.

Tu vois ce qui m'intéresse aujourd'hui ce sont les autres. Ce sont les autres qui m'intéressent. Assez occupé de moi. Pouvoir être utile aux autres. Je pense que ça passe par le militantisme. Je ne sais pas encore. Je me cherche Xiao. Xiao je veux envisager l'avenir sous un jour nouveau. Avec toi. Je veux faire un essai de vie avec toi. Je suis naïf. Je suis innocent Xiao. Des choses de la vie. Je ne connais rien à la vie de couple. Et pourtant tu es le garçon avec qui j'ai envie d'essayer. Mais c'est Tiananmen qui m'a changé. Ça m'a révélé à moi même. Une partie de moi même.

Je sais qu'il s'est passé plein de choses ce jour-là. J'ai pas tout vu. Je ne pouvais pas tout voir. Je sais qu'il y a eu plein de choses après aussi. Des choses beaucoup moins sympathiques. Depuis tu vois bien. À la télé même si elle est mise en sourdine depuis le début de la journée elle n'arrête pas de diffuser des bribes d'information. Tout ça est incohérent. On n'y croit pas. Mais on devine. C'est comme ça de cette façon que l'on finit par tout savoir. Xiao ! Il s'est passé plein de choses après. Même si je sais que les autres pays se sont doutés de quelque chose. Ils ont compris. Ils savent maintenant que quelque chose ne tourne pas rond en Chine. Xiao ! Moi je reste Chinois. Je le suis. Je le revendique.

Xiao !

Nous sommes très pudiques. Trop ! On n'ose pas montrer nos problèmes. On n'aime pas qu'on en parle. Surtout à l'étranger. Et de la façon dont on en parle. C'est comme ça. Moi je suis fier. Je n'ai pas honte. Tiananmen on n'aura pas envie d'en parler. Même si ça nous fait souffrir. Si ça fait mal. À nous les Chinois.

Xiao ! Je suis fier de mon pays. Et je le resterai toujours. Je suis Chinois. Je sais ce que nous Chinois on peut apporter aux autres. On peut apporter quelque chose. Je ne sais pas quoi encore. La culture. Notre culture. Notre façon de penser. Nos traditions. Notre histoire.

Nos idées.

On peut apporter quelque chose aux autres pays. Aux pays du monde entier.

Je connais bien mon peuple. Je sais que nous les Chinois on n'aime pas que les autres pays se mêlent de nos affaires. En particulier les occidentaux. Et les américains.

On veut pas que les autres pays nous jugent seulement sur les événements de Tiananmen. Xiao !

Cette histoire me donne envie de me battre. Je veux que mon être tout entier soit un instrument de combat. De lutte au quotidien.

Même si c'est contre un système. Même s'il faudra des dizaines d'années avant qu'on obtienne un résultat. Qu'on y arrive. On y arrivera un jour Xiao ! Je le sais déjà ! J'ai confiance. En moi. En toi. Dans tous les Chinois qui peuplent le monde.

Tu sais Xiao Tiananmen ça a démontré que pour nous les jeunes c'est la Chine nouvelle que nous voulons construire. Même si aujourd'hui ça n'est qu'un embryon. Xiao c'est le début de quelque chose qui va monter. Sans s'arrêter. C'est la tige d'une fleur qui pousse sans s'arrêter jusqu'à éclore un jour. Et ce jour arrivera.

Je sais Xiao ! Nous sommes plus d'un milliard ! Et alors ! Ça prendra peut-être cent ans ou mille ans mais les idées nouvelles prendront toujours le dessus !

Xiao je suis en révolte constante. Avec les autres. Avec moi même. Avec la société.

Avec l'injustice. Je suis en révolte permanente. Avec le pouvoir établi.

Xiao aujourd'hui je suis étudiant. J'ai la chance de pouvoir étudier parce que mes parents ont passé leur vie à économiser pour ça. J'ai même l'impression qu'ils ont placé tous leurs espoirs uniquement dans ce but.

Ça ne m'autorise pas à fermer ma gueule ! C'est pas parce que je suis privilégié que je ne dois rien dire !

- Dewei calme toi ! Tu me fais peur ! J'ai peur pour toi. J'ai peur pour moi aussi.

Pour nous deux. Dewei reste ici. Tu es le bienvenu chez moi. Bienvenue chez toi.

Cette fois-ci c'est moi qui te le demande. Nous pourrions prendre nos repas ensemble. Manger ensemble. Être ensemble. Être tous les deux. Ce serait notre force. Ça sera notre force. Une force nouvelle. Une association d'idées. Deux esprits connectés en permanence pour lutter contre le sort. Pour forcer le destin. Notre destin. Le construire. Ensemble.

Je ne serai plus seul. Nous pourrons parler des heures entières. Refaire le monde à tous les deux. C'est ce que je veux Dewei ! Et ça je veux le faire avec toi.

- Xiao on pourrait faire part de nos idées aux autres.

- A qui ?

- Aux comités d'étudiants !

- Lesquels ?

- Ceux qui restent ! Les vrais. Les authentiques. Ceux qui ne sont pas noyautés par le gouvernement ni par les autorités locales.

- Xiao on pourrait même créer le nôtre. Ça donnerait une autre dimension à mon statut d'étudiant. Aucun risque à se mélanger avec ceux qui ont été créés par les autorités. Dewei il faut se méfier ! On n'est jamais assez vigilants ! Dewei nous sommes des dissidents par notre façon de fonctionner. Par nos idées. Nous nous enfoncerons dans la dissidence. Avec les risques que ça comporte. Moi j'en prends le risque !

- Ça te fait pas peur Dewei ?

- Xiao ! Nous devons créer un comité parallèle. Nous devons nous cacher.

Ça nous rendra plus efficace.

- Il existe aussi une autre façon d'apprendre Dewei. J'ai eu le temps de réfléchir Dewei. La solitude pendant deux années ça aide. Ça permet de se poser d'autres questions. De se demander comment ça se passe ailleurs. Comment ils font. Ça permet de parler avec d'autres gens. D'autres personnalités. Comment un autre être humain fonctionne de l'intérieur. Comment il voit les choses. La perception qu'il a de son pays. C'est à partir de l'intérieur de chacun que l'on peut changer les choses. Les transformer. Trouver une solution et la mettre en pratique.

Dewei j'ai aussi une autre façon d'apprendre. Je veux voyager. Avec toi. En toi je pense je crois avoir trouvé celui avec lequel je pourrai partager d'autres pôles d'autres centres d'intérêt. Je pourrai decouvtir6d'autres univers. Dewei ça va plus loin que ça. Plus loin encore. Dewei ! La vérité dans tout ça c'est que Dewei !

Je voudrais entrer dans ta vie. Dewei reste ici. Avec moi. Partageons. Tout. Le cerveau du haut. Le cerveau du milieu. Le cerveau du bas. Le corps comme l'esprit. Le sexe comme le cœur. Partageons ce que nous pouvons partager aujourd'hui comme ce que nous pourrons partager demain.

Rattrapons hier.

- Mais Xiao ! Hier c'est fini ! Ça n'existe plus ! Est-ce que l'on peut partager ce qui est fini ? Et qui n'existe plus ?

- Dewei ! Avec toi je veux partager joies. Peines. Combats à venir. Luttes devant lesquelles on ne peut se dérober. Tes combats. Les miens. Les tiens. Les nôtres.

Les leurs. La liberté. La liberté d'être. De penser. De s'ouvrir aux autres. De s'ouvrir à soi même.

Ensemble ! Pour le meilleur et pour le pire. Lutter pour les autres. Ça veut dire lutter pour soi. Pour les siens. Pour la famille. Pour ta famille Dewei. Lutter pour une vie meilleure !

Pour permettre aux autres d'accéder à une meilleure vie. À un autre niveau de vie. Supérieur. Accéder à de meilleures conditions de vie.

À deux on sera plus fort. Toi la lutte la dissidence contre le pouvoir établi. Moi contre la corruption qui bouffe les élites de ce pays.

Contre la prévarication.

- Xiao c'est quoi la prévarication ?

- Ça veut dire que nos gouvernants ne sont pas à la hauteur des charges qui leur incombent. Ça veut dire qu'à tous les niveaux de la hiérarchie dans ce pays tout le monde en profite et se fout pas mal de la gueule du peuple. C'est ça la prévarication.

Pourtant ces gens là sont censés nous gouverner. Et donner une orientation à notre vie. À la diriger.

Dewei ! Le soir je ne veux plus être face à moi même pour dévorer mes nouilles !

Xiao éclate de rire. Je le suis dans son fou rire. Ça doit être nerveux. Trop de frustrations accumulées depuis qu'il m'a récupéré en piteux état sur la place de Tiananmen entre deux brouillards de fumée qui nous aveuglait à moitié. Je veux prolonger notre hilarité. Nous voici redevenus deux enfants. Naïfs. Innocents. Ayant faim de la vie. Des choses qui nous entourent. Je feins l'étonnement. Pour m'amuser. Pour rire.

- Mais Xiao ! Tu veux dire que tu vas me refiler des nouilles tous les soirs ?

Xiao me regarde en prenant son air le plus sérieux. J'ai l'impression retour sur terre. À la réalité.

- J'ai pas trop d'argent Dewei ! Ne m'en veux pas ! On se débrouillera ! Même que je ne te demanderai rien. T'inquiète pas !

Je me mets à rire. Encore. À nouveau. Je suis trop bien avec ce mec.

- T'inquiète pas Xiao on trouvera une solution ! Il existe toujours des solutions quand on veut vraiment s'en sortir !

Pas question pour toi de m'entretenir. Je n'y survivrais pas !

Cette fois je souris. Je ne ris plus. Je suis redevenu sérieux.

Je lui souris. À Xiao. Je me sens bien. Heureux. En harmonie avec le monde. Avec Xiao. Et puis je réfléchis.

J'aime ce côté solidaire entre gens simples. Entre lui et moi. Simplicité. Solidarité. Partage. Entre gens simples. Entre gens modestes. Entre Xiao et moi.

Ce que je suis. Ce qu'il est. Ce que nous sommes. C'est bon de se sentir épaulé par quelqu’un d'autre. De se sentir soutenu. De découvrir qu'on n'est pas seul. Malgré ce que l'on croit.

À cette heure de la soirée je ne sais pas ce qui me prend. Ce qui arrive. Ce qui m'arrive. Le jour s'obscurcit. Le soir arrive plus tôt que prévu. Crépuscule. Le soleil se teint d'une couleur orangée puis ocre. En même temps les nuages qui restent disparaissent soudain comme s'ils pressentaient quelque chose. Un événement. Alors Xiao regarde lui aussi dehors. Le soleil qui se couche éclaire son visage. Je le vois triste. Alors assis à côté de moi il me prend la main la serre à me faire craquer les os. Il l'enfouit entre ses jambes. Contre son sexe. Il grossit. Je le sens contre le dos de ma main. Je le laisse faire. J'aime cette sensation d'être désiré. Physiquement. Xiao tourne la tête vers moi.

- Je t'aime Dewei ...

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