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Lan Yu
7 janvier 2023

Phobies

Je longe les couloirs de la prison. De ma prison. Décidée. Voulue. Car je l'ai voulue. Le couloir est sombre. Noir. Je n'y vois rien. Je suis aveugle. Je n'y comprends rien. Pas âme qui vive. Personne. La lumière de la prison est blafarde. Un filet de lumière. Elle ressemble à Blade Runner. Je longe ce couloir. Je n'entends que le bruit que mes pas font sur le macadam.

J'ai l'impression d'être un solitaire sans avenir. Sans but. Je vis et j'existe dans un autre monde. Un monde sans issue. Sans lumière. Sans vie. Sans âme.
Je suis sur une autre planète. La planète Mars. Ou Mercure. Seuls résonnent mes pas sur le bitume.
J'entends ma respiration. Je perçois mon souffle. Je l'entends distinctement. Il m'oppresse. Je sens ma poitrine se gonfler et se dégonfler inexorablement. Sans jamais de fin.
Je me réveille. Soudain. Fin du cauchemar.
Je suffoque. La réalité.
Oppressante. Je la reçois en pleine gueule. En pleine figure. Je fais front. La réalité est bien présente. Elle m'étouffe.
Mon corps est trempé. Il ruisselle. Je suis torse-nu. Je sens la sueur froide couler le long de ma poitrine.
Je sors. Je vais à l'extérieur. J'entrevois la verdure. Des broussailles. Touffues. Compactes. Je suis dans la forêt. La Grèce ? Pas âme qui vive. Personne en vue. Pour me tenir la main.
Et là je vois toute ma vie défiler devant mes yeux. Toute ma vie n'a été qu'échappées et échappatoires. Renoncements.

Je me revois petit. À l'école primaire.

J'ai onze ans. Juste avant. Je vais entrer au collège. Fin d'année. Mois de Juin.
Je suis impatient. Je me retrouve en sixième. Enfin. Je vois une barrière devant moi qui me différencie d'avec les autres. Comme si on m'a jeté un mauvais sort. Je ne peux pas traduire.
Je me suis forgé ma propre prison. Elle m'empêche d'être comme les autres. De leur ressembler. De participer à leurs activités. De participer à leurs jeux.
Plutôt que d'être avec mes camarades le mercredi je préfère aller voir ma grand-mère à la campagne. La retrouver pour parler. Je veux pas me sentir obligé de jouer au football tous les mercredi après-midi. Le football ça me fait chier.
Grand-mère possède une ferme et passe le plus clair de son temps dans la cour à donner à manger aux poules. À l'ancienne. C'est un mode de vie qui en vaut un autre. Celui d'une autre époque. Cette époque me parle. Elle me correspond. C'est la vie de campagne en lointaine banlieue ou en province. J'adore. Une vie simple et authentique.
J'adore marcher dans la cour de la ferme. J'accompagne ma grand-mère quand elle va donner à manger aux poules. J'aime aussi la solitude. Le soir après le dîner à la nuit tombante je sors faire un tour dans la cour. Et je finis toujours par faire le tour de la ferme.
Je me suffis à moi même. Ma grand-mère est enchantée pour ne pas dire heureuse de m'avoir pour elle toute seule le mercredi. À 16h c'est le rituel du thé. Comme en Asie ou en Angleterre. Ou dans les colonies. Avant.

Grand mère vient me chercher. Elle sait que je suis toujours dehors. J'arrête toute activité. Nous prenons le thé. En me servant elle me propose des madeleines qu'elle a faites elle même. J'adore leur parfum. Il n'y a rien pour décrire une telle sensation de bonheur. Je ne me sens pas efféminé pour autant. Je sais que je ne suis pas une fille. Ça me suffit. Je fonctionne comme un garçon. Mais comme un garçon qui n'est pas comme les autres.
J'éprouve des sensations. Là encore pas comme celles qu'éprouvent autres garçons. Je ressens le besoin de toucher et de sentir. De serrer contre moi. Un homme. Un corps d'homme. De le serrer contre mon corps. De De l'étreindre. De l'embrasser. De le caresser. Mon corps et ma nature éprouvent des besoins. Des nécessités. Des sentiments. Physiques. Comme en éprouvent les autres
garçons vis à vis des filles. Au même moment José. Mon frère. Il est plus jeune que moi d'un an et demi. Il collectionne les copines. Il ne fait que ça. Je ne pourrai jamais faire pareil.
Moi pendant ce temps j'emmagasine les rêves. Je crée des collections de rêves. De désirs. Inassouvis. Comme des séries télévisées. Des bulletins météo. Un jour ça va un jour ça va pas. Des mondes imaginaires. Des planètes où tout est à ma convenance. Des mondes merveilleux et colorés à la Walt Disney ou à la Levis Carol. L'avantage c'est que c'est moi qui décide de l'histoire. Comment ça finit. Des histoires que je crée dans ma prison.

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