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Lan Yu
7 janvier 2023

Dimitri le Russe

Lors de notre voyage en Russie Xiao et moi Dewei avons voulu connaître la mouvance LGBT. On a été très déçu. Terriblement. Il n'y a rien en Russie. Il ne se passe rien à ce niveau-là. C'est le vide total. L'absence. La Russie c'est quoi ? En vérité c'est un peu comme la Chine. Moderne. Ces immenses avenues impersonnelles. Sans âme. Qui vive. Un ou deux vagabonds là. Qui traînent. Le plus souvent des personnes âgées. Ce qui me frappe moi Dewei c'est que ces personnes m'ont apparu vraiment très âgées. J'ignore pourquoi ! Où sont les jeunes ? Où sont les autres ? Les familles ? Rien de tout ça. On n'est peut-être pas allé au bon endroit. C'est peut-être pas là qu'il faut aller !

Alors Xiao et moi on s'est dit qu'on allait jouer le jeu. À fond la caisse. En faisant attention. Déjà Xiao avec ses gros bras musclés hyper tatoués il passe pas inaperçu. Et moi gamin un peu filiforme à côté de ce gros malabar qu'est Xiao on se demande ce que je fais là ! Alors on traverse et on traverse plusieurs fois l'avenue qui se trouve devant nous. À vrai dire on les enfile les unes après les autres. Dans le secret espoir de rencontrer des gens comme nous. Disons un peu différent. Et on finit par y arriver ! On marche beaucoup ! Et la Russie c'est tellement grand qu'il faut beaucoup marcher ! Alors on passe la journée à ça. Et puis arrive le soir. On est surpris. On se laisse surprendre. À force de chercher un coin sympa on finit par le trouver. Et là effectivement on tombe dessus. Inattendu ! Et là qu'est-ce-qu'on voit ? Un café ouvert avec plein de gens dedans. Surtout des familles. Pas ou peu de gens seuls. Très peu à vrai dire. Ici on a l'impression que les gens seuls se font remarquer. On a l'impression qu'ils suscitent la curiosité des familles. Ou des groupes déjà installés aux terrasses. Il y a trois terrasses différentes qui se suivent. L'une à côté de l'autre. Nous on a pris la première. On s'assoit. La place est libre. Quatre chaises. Ou plutôt quatre fauteuils assez sommaires. C'est bizarre. On s'assoit mais on a l'impression de squatter l'endroit ! Un peu comme si nous étions des imposteurs. On s'assoit quand même ! On verra bien !

- Xiao ! Ça va ? Comment tu sens les choses ? Quelle impression as-tu ?

- Moi ? Rien. Pourquoi ?

Ça c'est bien Xiao. Tel que je l'aime. Bourru. Un peu à côté de la plaque. Alors dans un élan affectif comme il est situé à ma gauche dans un élan affectif avec mon bras j'entoure ses épaules. Et là j'ai vraiment l'impression qu'on nous regarde. Qu'on nous mate. Carrément. Xiao lui-aussi le remarque. Il s'en rend compte. Alors tout bête je retire mon bras. Je suis gêné. Xiao me regarde. Il comprend. On s'apprête à partir. Au moment de se lever on aperçoit en bout de terrasse un jeune homme. Seul. Manifestement. Je regarde avec plus d'attention. Oui. C'est bien cela. Je ne me trompe pas. Il est seul. Il nous regarde avec intensité. Avec une lueur d'espoir dans les yeux. Une lueur d'espérance.

- Xiao ! On se rassied !

Xiao me regarde avec des yeux incrédules. Évidemment il n'a pas compris. Mais il me fait confiance. Comme à son habitude. Il sait que j'ai raison. Que c'est sûrement pour une bonne raison.

Alors le jeune homme à l'autre bout semble avoir compris. C'est un signe. Il ne se le laisse pas dire deux fois ! Sans hésiter il se lève de son fauteuil. Manque de le renverser et se dirige vers nous. Manifestement il semble sous le coup de l'émotion. Il s'approche de nous. Je crois que Xiao et moi on a compris.

- Je tends la main vers le jeune homme pour l'inviter à s'assoir à côté de nous. Il prend un des deux sièges vacants à notre table. Il s'assoit. Il est ravi. Il semble rassuré. Je pense parce qu'on l'invite à se joindre à nous.

Après un langage de yaourt entre tout le monde on finit par se comprendre. À l'aide des gestes et des paroles le dialogue entre nous trois finit par s'instaurer. Plutôt sympa. Enfin on rencontre quelqu'un de sympa.

Je me penche vers le jeune homme. Je lui tends une main franche. Directe. Je lui serre la main. Il me retient avec vigueur. Comme s'il l'attendait. Comme s'il attendait ce moment avec impatience.

Je commence !

- Bonjour ! Moi c'est Dewei. Et lui c'est Xiao ! Tu t'appelles comment ?

- Dimitri !

À ce moment je regarde Xiao qui comprend. Il n'est plus étonné.

Dimitri se met à sourire. Je sais pas pourquoi mais on sent qu'il se sent en terrain d'amitié. Il semble nous en être reconnaissant. Ça va durer pendant toute la conversation.

- Dimitri ! Qu'est-ce-qui se passe ici ? Comment dire ? On ressent une sensation étrange depuis qu'on est arrivé ici ! En Russie !

- Ce serait un peu long à vous expliquer ! Ce sont des choses des sensations que l'on ressent tous nous les russes ! Je suis fier d'être russe ! Et pourtant même si j'ai gardé une joie de vivre le fonds de mon âme est triste ! Je suis fier d'être Russe ! Je suis fier de mon pays ! J'aime mon pays ! C'est un pays immense. De l'Oural à la Biélorussie. À vous ça ne vous dit rien ! Mais la Russie c'est un continent à lui tout seul ! C'est un pays où les extrêmes se côtoient. Elles se mélangent. Elles ne restent pas ensemble. Elles s'opposent. Elles se réconcilient. Pour un temps ! Jamais ! Toujours !

Vous savez les gars ! C'est un drôle de pays ! Je l'ai dans la peau. Comme tous les Russes ! Depuis la naissance. Comme je vous l'ai dit les extrêmes les plus incompatibles peuvent cohabiter à la perfection ! Chez nous c'est bizarre ! Tout ce qui sert à glorifier le pays auprès des étrangers est bon à prendre. Il n'y a pas de pudeur. Il n'existe aucun scrupule ! Aujourd'hui en Russie il existe une nouvelle idéologie ! Nous les Russes on sanctifie le tsar Nicolas II. En même temps on conserve bien au chaud Lénine dans son mausolée. Dans les sondages qui sortent à heures régulières et qui permettent d'élire les personnalités préférées des Russes c'est bizarre mais je remarque que le prince Alexandre Nevski arrive toujours en tête avec Staline !

On s'arrange toujours pour placer Alexandre Nevski au même niveau que Staline ! Alors que Staline comme beaucoup d'autres est probablement un des plus grands criminels de l'histoire de l'humanité !

- Dimitri ! C'est qui le prince Alexandre Nevski ?

- Le prince Nevski c'est un prince qui a vécu au XIIIème siècle ! Il est très populaire chez nous !

- Et pourquoi ?

- Ben disons que le prince Nevski a évité que la Russie soit convertie de force à l'Église latine ! C'est pour ça qu'aujourd'hui encore il est très populaire chez nous en Russie. Tu sais Dewei ! Ça me fait penser un peu penser à la religion en Inde !

- Comment ça ?

- Si ! Tu sais bien ! C'est comme dans l'hindouisme ! Dans cette religion le dieu de la bonté Vishnou il côtoie le dieu de la destruction Shiva. Shiva c'est le dieu du mal ! La Russie c'est tout un paradoxe permanent que tu retrouves même auprès de ses habitants. C'est l'âme russe. Tout et son contraire. C'est de là que vient le mal-être de la société russe. De tout son ensemble. Sa langueur.

Tu vois par exemple notre président Poutine tu me croiras si tu veux mais à la fois il se considère comme l'enfant spirituel de Marx mais en même temps il estime être un fervent croyant très attaché au passé orthodoxe et religieux de la Russie ! Regarde ce qu’il s'est passé avec les Pussy Riot ! Si elles s'en étaient prises à Poutine en dehors d'une église russe elles n'auraient pas été condamnées aussi lourdement ! Critiquer la politique de Poutine au sein d'une église cela relevait d'une provocation suprême ! Il a pas digéré. Et puis ça remettait en cause sa légitimité. Comme chef suprême de toutes les églises de Russie.

- Et Elton John ?

Demande Xiao qui sort de sa torpeur.

- C'est encore là un des paradoxes et de la Russie et de Poutine qui la représente bien !

- Poutine et c'est là encore un paradoxe c'est un fan de Elton John !

Mais ça ne l'empêche pas de promulguer des lois anti-homosexuelles !

Poutine ? C'est tout et son contraire !

- Dimitri ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Poutine c'est un ancien du KGB !

- Mais ça tout le monde le sait ! L'ensemble de la communauté internationale le sait !

- Oui mais contrairement aux apparences c'est aussi un fervent croyant qui est très attaché à tout le passé orthodoxe de la Russie ! Ce qui signifie qu'il accorde la plus grande importance à l'ancien régime de la Russie ! Celui des tsars ! C'est ça la Russie !

Xiao et Dewei ! D'après le dernier sondage effectué auprès de l'ensemble de la population russe vous avez 80% des Russes qui sont derrière Poutine ! Comme quoi la population russe elle-aussi à besoin d'évoluer ! C'est un ensemble ! En réalité aujourd'hui encore la Russie c'est un pays très puritain ! De toute façon dans ce pays un peu comme vous en Chine tout est contrôlé ! Faits et gestes. Et si vous donnez l'impression d'avoir un comportement un peu différent de celui de la population en général vous risquez d'être montré du doigt ! Au pire être dénoncé aux autorités ! Dans ce pays malgré son immensité rien n'est laissé au hasard ! En fait le seul qui pourrait aider à l'ouverture des droits de l'homme en Russie c'est Kasparov !

- Kasparov le joueur d'échecs ?

- Oui ! C'est bien lui ! Garry Kasparov ! Lui il est pour l'Occident ! Il n'a pas de mots assez durs pour Poutine ! Pour sa politique ! La Russie c'est le pays des extrêmes ! Après tout Dewei ! À l'époque des tsars lorsqu'on parlait du tsar on disait le tsar de toutes les Russies !

- Dimitri ! Moi Dewei je te pose la question ! Tu es comme nous ! Tu es différent ! Tu es en décalé par rapport à la population !

- ...

- Parle Dimitri tu es en confiance ! Comment tu vis au quotidien le fait d'être en décalé par rapport aux autres ? À ta famille ? À tes amis ?

- Je sais ce que tu veux dire Dewei ! Oui. Je suis gay depuis l'âge de 12 ou 13 ans. Je ne me souviens plus. Je ne me le rappelle pas ! De toute façon ça doit être dans ces eaux-là ! Cela a-t-il de l'importance ?

- Non. Bien-sûr que non Dimitri !

- Raconte !

- Xiao et Dewei ! J'ai grandi en Russie ! J'y suis depuis toujours ! Je ne suis jamais allé à l'extérieur ! Je ne connais pas l'étranger ! Je n'ai jamais eu l'occasion de voyager ! Mais il y a une chose ! Il existe quelque chose en moi tout au fond de moi !

- C'est quoi ?

- La Russie elle est comme elle est. Elle est gouvernée comme elle est. Même si je suis à 100% contre sa politique aujourd'hui ! Mais tu vois Dewei ! J'y suis encore ! J'y serai toujours car j'aime mon pays. Même s'il ne m'aime pas. Lui. Pas encore. Peut-être un jour. J'ai cet espoir fou ! Incontrôlable ! C'est plus fort que moi ! Après tout je suis Russe moi-aussi ! Je vis en Russie ! Je suis à Moscou ! Je suis Moscovite ! Et puis Moscou la ville de Moscou c'est une histoire à elle toute seule ! Moscou c'est une histoire !

Le Kremlin. La place rouge. Les avenues de Moscou ! Elles sont immenses ! Même si elles sont désertes la plupart du temps ! Elles sont bordées par des immeubles immenses.

- Comment s'est passé ton cheminement ? La révélation à toi-même ?

- Tu sais tout ça c'est très long ! À douze ans c'est l'adolescence. On croit que l'on sait ce qu'on veut. C'est pas vrai ! J'en suis pas sûr ! C'est une période de transition. Comme toute la vie ! Mais là plus que jamais on prend conscience de certaines choses ! C'est là que les choses démarrent vraiment ! La prise de conscience de soi. Des autres. De sa différence. De la différence qui existe entre chacun ! L'adolescence est censée être un rite. Le passage entre deux époques.

Pour moi en tous cas c'était une période de changement et de joie. C'était censé être ça ! Une transition faite de bonheurs qui arrivent les uns sur les autres ! Mais que tu le veuilles ou pas tôt ou tard la politique entre dans ta vie !

Et tu peux pas passer outre.

Dewei et Xiao ! Je vis dans un pays communiste ! Et pourtant ma famille n'aime pas les communistes ! Elle ne les a jamais aimés !

Dewei !

L'empire soviétique ou plutôt l'URSS a fondu comme neige au soleil. Et ses valeurs aussi. Ses valeurs rouges. Communistes. Enfants pour parader nous arborions avec fierté la chemise blanche sur laquelle tranchait un foulard rouge sang. Celui-ci était noué comme celui des scouts au siècle dernier. Je me rappelle aussi que certains camarades de classe portaient sur le côté droit un badge de Lénine. C'est dire à quel point enfants nous y croyions dur comme fer. Nous étions exaltés. Reconnaissants vis-à-vis de nos dirigeants. Nous avions l'impression d'appartenir au devenir d'une nation entière. Aujourd'hui en Russie c'est l'émergence d'un capitalisme des plus sauvages. Lorsque l'URSS s'est effondrée ma famille était euphorique. Jusqu'aux cousins les plus éloignés. De toute façon comme la plus grande partie de la famille vivait à St Pétersbourg c'était pas très difficile à comprendre.

C'est quoi St Pétersbourg ?

St Pétersbourg a été créé par Pierre le Grand pour échapper à la Russie. Il avait besoin de s'ouvrir à l'Europe. C'est lui qui a demandé à Voltaire de le suivre et de l'accompagner en son château de St Pétersbourg.

Cette ville est plus occidentale et européenne que russe et orientale. Et pour cause St Pétersbourg a été bâti par des Allemands et dessiné par des Italiens. Pour clore le tout on y parlait en français !

C'est dire à quel point la Russie est ouverte sur l'Europe quoiqu'on en dise.

Ma famille n'était pas franchement procommuniste. En Russie il y a des gens qui n'acceptent pas le communisme. Ou qui au fond d'eux-mêmes ne le sentent pas vraiment. Au quotidien ils le vivent mal. C'est pas leur truc. La vérité c'est que lorsque l'Union Soviétique s'est écroulée pour faire place à la Russie nous étions contents. Plein d'espoir. Euphoriques même. Comment cela s'est-il traduit ?

Non sans réticence mes copains de classe ont arrêté de porter le foulard rouge et le badge de Lénine qui était cousu sur le côté droit de leur chemise blanche. Certains étaient fiers de porter ce badge. Pour imiter les autres ils l'ont retiré mais à contre-cœur. Ils ont été éduqués dans la vénération du chef. De celui qui a fondé la nouvelle Russie soviétique. Le chef était celui en qui on pouvait avoir toute confiance. Lui savait où nous mener. C'était le guide du pays tout entier. Lui seul savait.

Moi ça faisait un moment que j'avais viré tout ça ! Je prenais des risques !

En réalité à ce moment un vent de liberté et d'espoir est apparu dans tout le pays. Les gens reprenaient confiance. En eux. En les autres. On ne regardait plus son voisin avec méfiance. On se remettait à sourire. Un nouvel espoir apparaissait. On reprenait vie. En réalité pour tous cette ouverture sur la liberté augurait d'une nouvelle vie. Les gens ont cru que tout était possible. Ils ont retrouvé d'anciens réflexes pour les plus vieux et l'ivresse d'une liberté nouvelle pour les plus jeunes. Ces derniers n'avaient jamais connu ça. Ça leur donnait l'espoir d'une vie nouvelle. Il y a eu un retour aux valeurs traditionnelles. La première chose qu'ont faite les gens c'est qu'ils se sont tournés vers l'ancienne religion ! Vers la religion d'avant ! L'église !

Comme si c'était le plus important et comme si ça leur manquait ! Et ce n'est pas tout ! Ils se sont comportés comme des Occidentaux ! Ils ont voulu imiter le mode de vie des Occidentaux ! On a assisté à un retour en force vers la culture occidentale.

À adopter ou à retrouver leur mode de vie ! Pour les plus anciens ils y reprenaient goût ! C'était normal. C'était un réflexe de survie. Une bouffée d'oxygène. Le plus grave dans tout ça le plus inquiétant c'est qu'ils se sont mis à rêver au renouveau d'une économie capitaliste. Avec tous les revenus et les profits que cela peut engendrer. Dans leur tête meilleurs revenus meilleure conditions de vie. C'est normal ! Dans une économie moderne c'est tout simplement humain. C'est un réflexe naturel. On ne peut pas leur en vouloir. Et ça s'est fait ! On a commencé à le voir ! Ça a duré pendant un certain temps. Une courte période. Ensuite la corruption a repris son cours. Comme si c'était inévitable.

Du jour au lendemain tout à basculé.

Que s'est-il passé ?

Les anciens leaders communistes ont repris le pouvoir.

Comment ?

Ils se sont rués dans les réformes pour mieux les accaparer à leur profit. Après s'être opposé pendant longtemps aux réformes du jour au lendemain ils fonçaient dedans. Ils se sont accaparés de toutes les privatisations. Par définition une privatisation c'est redonner au peuple ce qui lui appartient. C'est redistribuer les richesses. Permettre au peuple de les acquérir. Eh bien non !

Les anciens leaders communistes s'en sont emparés. Sans scrupules. Au mépris du peuple.

Ça a démarré avec le bien public. Tous les biens publics. Toutes les propriétés qui venaient d'être privatisées. En réalité ils se sont mis à voler le pays. À le piller sans vergogne. L'élite politique qui se comporte en pilleur d'épaves. En rapace.

Ils se sont emparés des magasins d'État des galeries marchandes des centres commerciaux des stades des cimetières et des parcs. Alors que tout cela devrait appartenir à la collectivité au peuple. Non. De tout cela l'élite russe le transformait en biens propres. Ces leaders communistes transformaient ces richesses en biens privés à leur propre nom. Pour bénéficier pour eux-mêmes et leur famille de tout ce que ça pouvait leur apporter.

Imagine que cela se passe aux États-Unis !

C'est comme si Barack Obama s'emparait de la bibliothèque du Congrès pour en faire son bien propre. Et pouvoir récupérer à son profit tous les bénéfices qu'il pourrait en tirer ! Et ensuite en faire cadeau à son cousin !

Ou alors imagine que la sénatrice de l'Etat de New York construise son parc privé sur un mémorial de la Seconde guerre mondiale !

En Russie c'est ça tous les jours !

Ces pratiques sont insoutenables dans un pays tel que la Russie aujourd'hui !

Un pays qui possède une responsabilité vis-à-vis du monde ! Mon pays possède sa place dans le monde ! Lui-aussi a sa part de représentation !

Non. Au lieu de cela c'est une gabegie infernale.

Les administrations volent les fonds public au point que les fonctionnaires les professeurs les médecins) ne sont plus payés pendant plusieurs mois. Les professeurs de mon école n'ont pas été payés depuis un an. Les pénuries d'eau et les coupures d'électricité font partie de notre quotidien.

Je me grouille. Je me dépêche. En rentrant chez moi je me dépêche de faire mes devoirs car les après midi c'est le noir complet. Jamais de lumière. De l'autre côté de la rue un gros bonnet du régime lui bizarrement il dispose de la lumière toute la soirée. Parfois même toute la nuit.

Pour se laver pour la famille et moi même cela relève du coup de force ! Pour prendre un bain il faut marcher un kilomètre avec deux grands seaux d'eau à bout de bras. Ça pèse une tonne ! J'ai décidé de le faire pour toute la famille. Après tout c'est moi l'aîné ! C'est pas le tout ! Je les remplis à la station service située dans le quartier située à l'angle de la grande rue principale. Celle qui traverse le quartier de bout en bout. Et dans laquelle circulent jour et nuit de gros camions. Je ramène les seaux à la maison. Je les réchauffe sur un réchaud trop petit je verse ce qui m'appartient dans la baignoire tout en versant l'eau sur moi. En bref la Russie d'aujourd'hui c'est l'Europe des années 50 ! Et on fait avec ! Je fais avec. Je n'ai pas le choix.

À l'école je ne sais pas pourquoi je me fais agresser. Je ne suis pas le seul. Chaque jour sans qu'on sache pourquoi plusieurs élèves se font violemment agresser. Souvent plusieurs fois dans la journée. C'est ça qui est incompréhensible. Ça dépasse l'entendement. Je ne comprends pas. Beaucoup de mes camarades préfèrent ne plus venir en classe. Trop dangereux. Certains décident de ne plus venir. D'autres ont carrément arrêté définitivement. Toutes les semaines une ambulance en train d'attendre devant l'école. Les toilettes sont devenues le lieu de rendez-vous des gangs. Il s'y passe plein de choses. Les toilettes sont une véritable plaque tournante. Sexe trafic de drogue et racket. Je n'ose plus y aller. Trop dangereux. Ce qui est bizarre c'est que la plupart du temps ce ne sont pas des élèves comme moi que je vois. Ce sont des adultes ! Les gangs qui tournent autour de l'école y ont élu domicile. Pourquoi dans l'école ? Pour mieux cacher leurs activités illicites. À ce moment-là j'ai pris conscience que nous vivions dans un monde dangereux. Dans ma tête le monde est dangereux. C'était brutal. Tout paraissait soudainement injuste. C'était la loi du plus fort. Ça craignait de partout. À tous les niveaux. J'avais peur. Je n'ai pas honte de le dire. C'était l'horreur. La cruauté dans tous ses états. C'était inhumain. Inacceptable.

Nous vivions à trois pâtés de maison de mon école. C'était pas loin. Tous les jours sur le chemin il y avait plusieurs carcasses. De chiens de chats. Ils avaient été torturés. Mutilés. Et laissés là sur le chemin. Victimes innocentes de gamins déconnectés. Sans repères. Sans idéal. Livrés à eux mêmes.

La loi du plus fort. C'est elle qui règne en maîtresse. De tout. Et tout ça toute cette horreur c'était causé par des garçons de mon âge. Sans règles. Sans limites.

Cette cruauté gratuite de leur part était aveugle. Pourquoi ? Qu'a-t-il bien pu se passer dans leur tête ? C'est tout le pays qui est comme ça ? Sommes-nous en temps de guerre ? Ou bien cela ne se passe-t-il qu'ici ? Je vais devenir fou. Je le sens.

Je ne comprends pas. Pourquoi ?

Je ne comprends pas cette cruauté de la part des autres. Des autres enfants. Des autres gamins. Ma famille elle fait partie des plus pauvres du quartier. Pour ne pas dire du village entier. Je connais même des gens qui sont encore plus pauvres que nous. On ne décide pas de son destin. On est là. Voilà tout. Il n'empêche. Le désespoir et la misère ne les ont jamais conduits à faire du mal aux autres. Comme quoi la pauvreté et la misère ne rendent pas nécessairement les gens méchants. Ou nocifs pour les autres. En tout cas moi la pauvreté ne m'a jamais incité à en faire payer le prix aux autres. Au contraire elle m'aide à comprendre les autres. Je sais. C'est pas facile. Mais c'est vrai. C'est bizarre mais les enfants les plus cruels et les plus violents c'était ceux d'entre nous qui étaient les plus épargnés. Pour ne pas dire les plus privilégiés d'entre nous.

Alors je pense à quoi ?

À foutre le camp. À sortir de Russie. À aller ailleurs. À partir pour des contrées plus clémentes. Plus accueillantes. C'est venu comme ça. Un jour. J'ai pris conscience. J'ai réalisé que je voulais pas passer le restant de mes jours dans ce pays.

Si. Je crois savoir ce qu’il s'est passé. C'était un cours d'histoire sur l'Holocauste. Le prof aborde les camps nazis. Alors je ne sais pas ce qu’il se passe. Je ne comprends plus. Je ne sais plus où je me trouve. Un élève de la classe se lève soudainement et sort :

" Ils auraient dû finir le boulot ! "

Je suis stupéfait. Mais ce n'est pas tout. D'autres élèves se lèvent pour suivre le mouvement et tour à tour se mettent à scander :

" À mort les youpins ! À mort les youpins ! "

Et ils crient ça comme s'ils étaient possédés.

Mais qu'est-ce que cela veut dire ?

Mais où on va là ? On recommence tout ?

Alors dans mon fort intérieur je sens une angoisse viscérale qui monte jusqu'à ma poitrine. Elle m'enserre le cœur. J'ai du mal à respirer. Je sais pas pourquoi mais la sueur commence à apparaître de plus en plus fort. Je suis terrorisé. Alors je regarde autour de moi. Je fais un tour d'horizon de la classe. Pas un seul élève ne s'élève contre ça. Si. Un seul. À travers les bras dressés je l'aperçois. Il a peur. Il ne dit rien. Alors j'ai compris. C'est lui le seul juif de la classe. Il est dévasté. Ça se voit. Il n'arrive pas à proférer une parole tellement il est terrorisé par ce qu'il vient de se passer. Alors je me dis que s'il ne se met pas à scander comme les autres il va vite se faire repérer. J'ai pitié de lui. Pourquoi ? Je ne sais pas. Cette classe de jeunes ce groupe d'enfants qui sont pris dans la haine de groupe c'est littéralement fascinant. Effroyable. On dirait un groupe de jeunes nazis exaltés par la parole du Führer !

Je suis terrorisé. Je fixe ces jeunes. Je suis terrifié par l'effet de groupe où on sent que quoi qu'on fasse on bénéficie de l'impunité de groupe.

Je n'en reste pas là. J'espère encore. Malgré la peur je me fais violence. J'essaye de comprendre ce qu'il s'est passé. Ce qui a bien pu générer un soulèvement pareil.

Qu'est-ce-qui a remplacé l'uniforme communiste ?

Qu'est-ce-qui a remplacé la chemise blanche et immaculée avec le foulard rouge des jeunesses communistes ?

Les basquettes. Les croix imitation or sur la poitrine. Les blousons verts.

Parfois je me dis que dans leurs extrêmes leurs façons d'être les régimes extrémistes ou totalitaires se ressemblent. Sur bien des points. Saline ou Hitler. Même combat. Mêmes extrêmes. Mêmes camps de rééducation pour les uns ou de concentration pour les autres. Mêmes pogroms pour les uns et pour les autres. Un point commun cependant. Pour une raison inconnue dans ma tête d'enfant une fois de plus une fois encore ce sont les Juifs qui sont montrés du doigt. Comme si cela ne suffisait pas. Mais d où vient donc cette haine ancestrale contre les Juifs ? Les bourreaux n'en n'ont-ils pas eu assez ?

En tout cas pour ces enfants-là qui ressortent les mêmes propos que les jeunesses hitlériennes quelques années plus tôt ils n en n'ont jamais assez. Ça ne leur suffit pas. Je les observe. Et qu'est-ce-que je vois ?

Ce même regard de haine mal contenue. Le même regard vitreux. Le même désir vengeur à vouloir en découdre avec son voisin. La même volonté de déverser son flot de haine sur une minorité. Quelle qu'elle soit. C'est sans risque. De toute façon ils ne réagiront pas. Alors allons-y. Lâchons-nous. Dans leur haine de l'autre ces enfants se comportent comme une foule avide de vengeance dans un élan de haine. De mort. De sang. Phénomène de masse où l'on ne risque rien puisque l'on est porté par la foule dans son désir de mort. D'en découdre avec celui qui est sans défense. Il lui faut toujours un bouc émissaire. C'est plus facile. C'est tellement mieux de se sentir impuni quels que soient ses actes. Surtout s'ils sont commis en groupe.

Devant cette réaction de la classe le prof reste sans voix. C'est une prof. Une femme. Je pense qu'elle a peur. Soudain elle se sent mal à l'aise. Gênée. Mal dans sa peau. À ce moment elle réalise tout le chemin à parcourir pour s'en sortir. Je l'ai vu dans son regard. Je le devine. Alors elle ne sait pas quoi faire. Elle est désemparée. Alors désarmée elle se contente de sourire. Qu'aurais-je fait à sa place ? Cette question me hante. Aujourd'hui encore je l'ignore. Les Juifs traînent toujours les mêmes casseroles. Les antisémites de tous les pays ressassent les mêmes schémas. Ça devient intolérable. Les Juifs sont plus intelligents que les autres. Les Juifs ont plus d'argent que les autres.

Ce qu'ils savent pas ces cons et Dieu sait s'ils sont légions c'est que pendant des siècles on a interdit aux Juifs d'exercer certains métiers. Notamment les postes à responsabilité et d'autres métiers au sein de la ville. En particulier au Moyen-âge. Ils étaient sortis des villes. Des citadelles. Dans ce cas quel autre recours que de s'intéresser au commerce pour survivre ? Puisque de la façon la plus conne le Christianisme interdisait les jeux d'argent. L'argent était sale. Les transactions financières étaient sales. Alors laissons ça aux Juifs. Leur religion ne l'interdit pas. Les stéréotypes ont la vie dure. En Russie ils existent toujours. Et Staline n'a rien fait pour empêcher ça. Au contraire. Hitler Staline même combat. Même la prof a des idées préconçues sur les Juifs. Elle ne s'en rend pas compte. L'éducation probablement. Tout passe par l'éducation et l'information. Hors aujourd'hui en Russie ils ne font rien.

J'ai raconté tout ça à ma mère. Elle n'a pas été surprise. C'est bizarre ma mère. Je ne sais pas pourquoi mais elle n'est franchement pas à l'aise dans son propre pays. Et mon père quand il rentre de son travail il semble perpétuellement soucieux. Comme s'il n'arrivait pas à se débarrasser de quelque chose. Il doit y avoir autre chose que le boulot.

Ma mère :

- Ca ne m'étonne pas ce que tu dis. Il faut qu'on parte d'ici avant qu'il ne soit trop tard.

Et moi alors dans tout ça ?

Pour moi chaque jour au collège c'est l'enfer. Ça devient l'enfer. Ça empire tous les jours. Il semble que rien ne s'arrête. Je ne sais pas pourquoi. Je ne comprends pas ce qui se passe. Chaque jour au collège il y a quelque chose de nouveau. Qui me concerne. Mes camarades si on peur appeler ça comme ça me prennent à partie. Comme s'ils m'en voulaient pour quelque chose. Que j'ignore. Ils viennent vers moi. Ils prennent un malin plaisir à me provoquer. Tout ceci ressemble de plus en plus à une escalade. Dans la violence. Dans la provocation. Mais pourquoi ? Je ne comprends toujours pas. On dirait un crescendo. Une escalade dans la bêtise. Et la méchanceté. Gratuite.

Est-ce mon côté un peu féminin qui ne leur plaît pas ? Je ne suis pas assez dans les normes pour eux ?

Pourtant rien dans mon allure ne peut le laisser supposer. Le montrer ou le laisser deviner. Et ça y va. Chaque jour j'y ai droit. Les crachats. Les coups de poing. Ça vraiment ça fait très mal. C'est vraiment douloureux. Tous les jours ou presque même lorsque je ne suis pas concerné ce sont des combats au couteau. À cran d'arrêt. Les menaces de mort et de vengeance dans les jours à venir sont gratuites.

Dans tout ça je suis concerné au premier chef. Je vais au collège chaque jour. J'essaye de ne pas manquer. D'être présent. D'être fidèle à mes convictions. À mon état d'esprit. Je veux croire que tout ça ne durera pas. Je suis naïf. Mais je me construis en gardant ma tête dans le positif. Dans l'optimisme.

Je vais au collège. À mon collège. J'entre en classe. Je m'assois là où il y a de la place. Si on veut bien m'en faire. Je comprends pas ce qu'il se passe. Je ne sais pas pourquoi.

Personne ne veut s'asseoir à côté de moi. Je ne comprends pas. J'ai l'impression que mes camarades me désignent comme un bouc émissaire. Une victime. Une future victime toute désignée à l'avance. Puis soudain que se passe-t-il dans la classe ? Quel signal ? Ça part d'où ? J'ai peur. Je suis terrifié.

Tous les élèves se jettent sur moi. Mais j'éprouve une satisfaction. Horrible car je suis un lâche.

Je ne suis pas le seul sur lequel ils tombent à plusieurs. On est plusieurs à connaître le même sort. On dirait un tribunal improvisé. Tout se passe en quelques minutes. Il a ceux à qui on va casser la gueule et ceux qu'on va épargner. Comme ça. À la tête du client.

Certains obtiennent grâce. D'autres sont déchus. Ils n'ont plus droit à un statut. Plus de camarade. Plus rien. Déchéance suprême au sein de la classe. C'est la foule qui décide. La pire de toutes. Celle des élèves. Qui n'ont ni foi ni loi. Il règne une telle violence dans ce collège que j'en viens à apporter un couteau pour pouvoir me défendre en cas d'agression. Il faut que je me protège. Il faut que je vive. Je dois vivre. Je dois me protéger. Contre ces forcenés. Ces fous furieux. Que rien n'arrête. Qu'aucune loi n'arrête. Ne peut contenir. J'ai un couteau sur moi. Je le porte en permanence à chaque fois que je me rends au collège. Tous les jours. Lorsque je m'y rends. C'est là où la première fois j'ai entendu que l'on me traitait de pédé. Le problème c'est que je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. C'est là dans ce collège que pour la première fois j'ai entendu prononcer ce mot. Bien-sûr je suis attiré par les garçons. Ça me paraît tellement naturel d'être attiré par un autre être humain que je ne voyais pas où était le mal. J'avais jamais fait le rapprochement entre ce qui est bien et ce qui est mal. Par exemple apparemment être attiré par une fille c est bien. Être attiré par un garçon c'est mal. Je ne comprends pas. D'autres me l'ont fait comprendre. À la vitesse grand V. Mais le plus curieux dans tout ça c'est que je ne me sentais pas concerné. Mais alors pas du tout. Les autres oui. Peut-être. Mais moi non. Pas du tout. Le mot gay je ne savais même pas ce cela voulait dire. C'est quoi un gay ? Tout ça je me l'interrogeais dans ma tête. Sans en faire part à personne. Mais si je me suis ramassé tous les autres élèves en pleine gueule je pense qu'il y a un rapport avec ça.

En Russie le mot pédé est le plus utilisé. Même si ça ne veut rien dire. C'est pareil que tapette. Que pédophile. Je vois pas le rapport avec des enfants. Une seule explication. C'est pour mieux nous rabaisser au rang de non-humains. L'idée est de nous faire passer pour des malades mentaux. Comme ça on peut nous enfermer dans des asiles. C'est justifié auprès de la population.

Ou mieux. Plus économique pour le régime soviétique. Nous envoyer dans des camps de redressement en Sibérie pour servir de valeur marchande pour l'économie du pays. Exploiter notre force de travail à titre gratuit dans des conditions de vie inhumaines.

Comme des animaux de trait qu'on élimine une fois qu'ils ne sont plus aptes à la tâche. À écouter les autres et à entendre ce qu'ils disent sur les autres j'en conclu qu'être pédé est la pire des abominations. L'abjection suprême. Autant en ne pas être si tu tiens à ta vie. C'est la malédiction la plus honnie du monde. Que faire ? Comment se comporter ? Quoi dire ? Que devenir ? J'en ai froid dans le dos. Une terreur qui me remonte dans le dos à rebrousse-poil. La terreur absolue. La peur permanente. La peur de tous les jours qui te cueille au réveil pour ne te lâcher que si tu arrives à t'endormir le soir. L'enfer sur terre. Celui qui ne te lâche jamais. Celui avec lequel tu vis au quotidien jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il se passe quoi au collège ? L'amalgame stupide comme le sont tous les amalgames. Impossible de s'en sortir. Tous sont concernés. Les enfants et les adultes dans leur haine irréfléchie du pédé. Les deux disent que les pédés sont les plus ignobles des créatures qui existent sur terre. Que les homos ce sont des inhumains. Des non-êtres. Bref. On nous considère comme l'équivalent des tueurs en série. Beau programme ! Ils disent que nous méritons de mourir d'une mort atroce. À l'école c'est permanent. Le mot pédé est employé à toutes les sauces. C'est un passe-droit un mot pratique pour désigner tout camarade que l'on souhaite rabaisser. Le truc c'est de lui faire peur en lui faisant croire que tout le monde va croire qu'il est pédé. La crainte ultime de l'élève. L'angoisse absolue. À l'école entre les élèves il n'y a pas une seule conversation où n'entre pas le mot pédé. C'est devenu une habitude qui n'a pas de cesse que d humilier ceux qui se sentent concernés. À force d entendre toutes ces conneries que l'on sortait sur les pédés j'ai fini par me dire que c'est un animal imaginaire. Comme les dragons. Pour désigner quelque chose. Un animal qui n'existe que dans l'imaginaire collectif des populations. Personnellement je ne connaissais pas un seul pédé sans me douter que c'était moi le pédé. Et que je ne me connaissais pas encore.

Bien-sûr des choses filtraient. Mais ça ne concernait que des célébrités. Pas le commun des mortels. Ça n était réservé qu'à des gens très connus. Aux stars de la pop en particulier. Et puis surtout ça ne concernait que des célébrités à l'étranger. Elton John et Freddie Mercury par exemple. Mais je ne sais pas pourquoi et surtout je ne sais pas comment mais ces rumeurs étaient étouffées. Comme si elles présentaient un réel danger pour la jeunesse russe. Comme s'il y avait un risque qu'elle soit contaminée par l étranger. Car il n'y a que l'étranger qui peut contaminer la Russie. Ça ne peut pas venir de l'intérieur. Non. Ça ça n'existe pas. C'est impossible.

Freddie Mercury c'est l'exemple. Il est vénéré en Russie. Et cette voix ! Pendant mon enfance c'était la star l'exemple le plus admiré en Russie. Bien-sûr il dérangeait. Et sa vie inquiétait les autorités russes. Et la population. Freddie Mercury a été lavé de tout soupçon d'homosexualité par les médias et par l'opinion publique. Preuve qu'il en est que la population est maintenue en laisse par les autorités russes. D'une main de fer. Sans concessions. Pour eux c'était des rumeurs comportées par l'Occident.

C'est à cette période-là que je réalise que moi-même Dimitri j'en suis un.

Un pédé. En quelques mois je réalise que je suis un de ces monstres dont ils parlent. Quelle découverte ! En un an je réalise que je suis devenu moi-même un dragon. Un être difforme comme Quasimodo le nain de la Cathédrale de Paris. Du jour au lendemain je me retrouve être un de ces êtres abjects dont j'entends parler au quotidien. Un de ces êtres dont au fond je ne connais rien du tout. Alors du coup j'ai l'impression d'être le seul ! La bête noire que l'on va montrer du doigt ! Être le seul qui existe en Russie ! Le seul que l'on va désigner comme le cas d'école. Celui que l'on va mettre dans un cirque avec ses congénères les bêtes fauves. Celui que l'on va exhiber aux foules. À ce moment-là je suis convaincu d'être le seul homosexuel vivant en Russie. En tant que tel je me sens désormais complètement exclu de la race humaine. S'ils savent s ils apprennent cela que va-t-il m'arriver ? Que vais-je devenir ?

Ça devient une hantise de tous les jours. Je fais une fixation sur ça. Ça m'obsède. Ça obère mon quotidien. Je ne pense plus qu'à ça. Il faut que personne ne sache. Je problème c'est que pour pouvoir se cacher il faut d'abord savoir à quoi ça ressemble un gay. Aucune idée ! Alors je deviens complexé. Il faut faire attention. Je ne sais plus comment il faut que je m'habille. Il faut faire attention à tout. À la façon de parler. À ce que l'on dit. À la façon dont je marche. Est-ce que dans la rue je marche comme tout le monde ? Est-ce que l'on me regarde ? Qu'est-ce qu'on dit à mon sujet ? Est-ce que l'on me critique ? Chacun de mes pas chaque seconde de ma vie est devenu un calvaire. Chacune des choses qui auparavant relevaient de l'inconscience est devenu aujourd'hui une réalité de tous les instants. Insoutenable. Est-ce que mon allure générale.

Est-ce que ces mots font pédé ? Est-ce que cette tournure d'esprit est normale ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque que je me trahisse ?

J'avais des amis proches. Ils étaient plus importants pour moi que ma famille proche. Alors j'ai eu peur de les perdre. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Quand ils ont commencé à intéresser aux filles je me suis éloigné d'eux. Du jour au lendemain. Ils n'ont pas dû comprendre. Tant pis. Mais6j'avais tellement peur de les perdre. À tout jamais. Sans amis qu'est-ce qu'on devient ?

Tout simplement je ne voulais pas qu'ils réalisent que si eux s'intéressent aux filles moi je ne m'y intéresse pas. C'est aussi simple que cela.

En Russie la dernière c'est la privation des droits des homosexuels. À chaque fois c'est une polémique énorme. Les Russes ne sont pas prêts à nous accorder ces droits. Il reste encore un résiduel d'homophobie. Les Russes n'arrivent pas à s'en débarrasser. C'est plus fort qu'eux. Ils n'y arrivent pas. Ce qui m'étonne le plus dans tout ça c'est pas l'homophobie qui règne en Russie. Elle a toujours existé. Comme dans tous les pays. Ce qui m'étonne le plus c'est que pour la première fois de leur histoire les États-Unis s'intéressent aux problèmes des minorités chez nous. Qu'est-ce-qui leur prend aux États-Unis ? D'où leur vient cet intérêt soudain pour ce qu'il se passe chez nous ? On les intéresse maintenant ? Quelle hypocrisie ! Le seul point positif c'est qu'ils découvrent enfin qu'en Russie les minorités sexuelles sont traitées de façon inhumaine. Le problème avec les États-Unis c'est qu'ils comparent leurs problèmes avec le reste du monde. Comme étalon de comparaison ils se servent de leurs propres problèmes alors que chez nous ça n'a rien à voir ! C'est pire que chez eux ! C'est pas comparable !

Bordel de merde !

Les Américains ont-ils vraiment conscience des problèmes que connaissent les autres pays ? Aux Etats-Unis les minorités sexuelles ne réalisent pas à quel point elles ont de la chance de pouvoir défendre leur liberté en Amérique !

Chez vous pas de pogroms

De camps

D'agressions au quotidien vis-à-vis des gays !

Vous les Américains vous passez pour des privilégiés en matière de défense des libertés individuelles ! Et pour la représentation des minorités !

Le problème est complexe. C'est difficile à comprendre.

Pourquoi ?

Les Américains considèrent comme acquises ce qui pour eux sont des évidences :

La liberté

La justice

L'égalité

Le droit des minorités

Raciales

LGBT

Les revendications des groupuscules

Ce qu'il s'est passé c'est que les progressistes américains ont réussi à faire passer leurs idées auprès du public américain. Ils ont réussi à changer les mentalités des Américains. Oh bien sûr ! Ça s'est pas fait du jour au lendemain ! Mais ils ont réussi. Ils ont réussi à faire passer leurs idées dans le public. Et les Américains ont suivi. Ils font leurs ces idéaux. Et ils les défendent aujourd'hui !

Maintenant l'égalité est considérée comme normale. Les revendications des minorités aussi. Celles des noirs aussi.

Un exemple de la différence qui existe entre les Américains et nous :

Les homophobes américains doivent défendre leur point de vue depuis des décennies. En Russie les droits de l'homme n'ont jamais existé !

En fait la répression des minorités en Russie ne date pas d'hier !

Et ça n'a pas commencé avec Staline ! Ça a commencé bien avant !

La monarchie russe avait déjà commencé ! Les tsars pratiquaient déjà la persécution des minorités. Et le pire c'est que la monarchie était soutenue par l'église. L'église orthodoxe.

Que s'est-il passé ?

La monarchie des tsars s'est montrée particulièrement répressive. Elle a favorisé l'esclavage des minorités.

Le communisme a remplacé la monarchie. Il n'a fait que reprendre le flambeau de l'oppression.

Le communisme c'est quoi ? C'est institutionnaliser l'esclavage des minorités. À partir du moment où un gouvernement renforce ses positions en termes d'autorité ça se fait toujours au détriment des minorités. Ça s'est toujours fait comme ça !

En Russie ça rigole pas !

Sur bien des points la Russie ressemble à la Chine !

Il y a les dissidents ! Tous ceux qui se révoltent contre le pouvoir établi lorsque celui-ci réprime sans pitié et sans discernement.

Les boucs émissaires ce sont toujours les mêmes !

Ceux qui n'ont pas les moyens de se défendre ! Et ce sont toujours les mêmes ! En première position ce sont les minorités car elles n'ont pas les moyens et l'argent pour se défendre. Alors elles deviennent solidaires ! Elles retrouvent en elles une valeur que l'on ne retrouve pas dans les majorités. La solidarité pour mieux se défendre ! Se battre contre l'adversité !

En Russie c'est pas compliqué. Que s'est-il passé au cours des siècles ?

Tous ceux qui ont eu le courage de se révolter tous ceux qui ont trouvé en eux la force de dénoncer les injustices ont été systématiquement assassinés. Ou alors ils ont été dirigés en masse vers les goulags pour y mourir !

Et la Russie d'aujourd'hui n'a pas changé. C'est pire ! Le gouvernement russe fait preuve d'une hypocrisie sans bornes. Pour donner une bonne image de la Russie il offre l'apparence d'une démocratie qui se met en route et qui préconise le libre échange !

Rien n'est plus faux !

Ce qui est terrible en Russie aujourd'hui et c'est ce qui est pire la violence à l'encontre des gays des LGBT laisse les Russes indifférents.

Pourquoi ?

Parce-que la violence est omniprésente en Russie. Et ce depuis toujours.

La liberté d'expression est étranglée. Je sais. C'est pas nouveau. Depuis la chute de l'Union soviétique et l'avènement de la Russie les choses n'ont pas changé. Un nombre toujours croissant de journalistes et d'opposants posent des questions sur la corruption qui sévit en Russie. Celle-ci ne cesse d'augmenter. Elle atteint des proportions qui dépassent l'l'entendement.

Qu'est-il advenu de tous ces journalistes et de ces opposants ?

Ils ont été assassinés. Quand ils n'ont d'autres recours que de s'exiler quand ils peuvent le faire le Kremlin continue de museler leur liberté d'expression en faisant pression sur leur famille. Inacceptable. Que ce soit en Russie ou ailleurs les opposants au régime sont tenus en laisse par le pouvoir soviétique. Par le KGB en particulier. Du KGB sont issus tous les dirigeants du bloc soviétique depuis la disparition de la monarchie russe.

Tu imagines si la même chose se passait aux Etats-Unis ou en France ? Mais ce serait la guerre civile ! En Europe on ne supporterait pas une telle privation de liberté !

En Occident il a fallu des dizaines d'années pour ne pas dire des siècles durant lesquels les gens se sont battus pour construire une société qui soit plus juste. Parfois au péril de leur vie. Au péril de leur liberté. Quels que soient les combats menés en Occident les gens et les minorités en particulier se sont battus pendant plusieurs siècles. Les gens se sont battus pendant des siècles entiers.

Par rapport à ces mouvements de combat et de lutte que l'on retrouve en Occident la Russie n'a jamais connu d'équivalent. Aujourd'hui comme à l'époque des tsars les minorités russes quelles qu'elles soient les minorités juives en particulier sont toujours méprisées. Les temps ne changent pas. Ils se reproduisent. Sans espoir d'amélioration. Il faut se battre ! C'est le sens même de l'existence humaine. Se battre. Toujours. Lutter sans cesse quelle que soit l'adversité. Le combat est toujours là. Présent. Éternel.

Par exemple le féminisme. Le combat pour le droit des femmes. Pour leur émancipation ! Ça c'est important. Le féminisme est le précurseur et le déclencheur pour le droit des homosexuels. Des minorités LGBT. Il suffit qu'une minorité donne le signal d'alarme pour que les autres se réveillent. C'est toujours pareil ! Le féminisme est inconnu en Russie. Alors que faire ? Depuis longtemps en Russie depuis l'époque des serfs la femme ne se considère même pas comme l'égale de l'homme. Elle a toujours été cantonnée dans des tâches subalternes. Cela se voit en particulier dans le monde rural. Un peu à l'image de la Chine. À croire que dans ces grands pays l'évolution des idées ont du mal à traverser les distances. C'est d'ailleurs curieux de voir que l'URSS et la Chine ont eu à peu près la même évolution. Très lente par rapport à l'Occident.

Comment fonctionne la femme ou la mère russe ? La femelle russe travaille d'arrache-pied dans la journée pour compléter le salaire du foyer. Ensuite elle rentre à la maison sans perdre une minute. Là elle s'attaque d'emblée à toutes les tâches ménagères. Comment avoir le temps de se rebeller dans ces cas-là ? D'acquérir la distance nécessaire pour réfléchir à la situation ? C'est mathématiquement impossible.

Et que fait son mari pendant ce temps-là ? Que fait-il une fois regagné son domicile ? Il s'installe devant la télé saisit son journal et se met à boire ! Belle perspective pour faire émerger les idées nouvelles ou tout simplement pour se révolter ! Il faudra des siècles avant que cela puisse changer !

Le 8 mars chaque année en Russie. C'est une fête très importante ! C'est la journée internationale de la femme !

Chez nous en Russie cette immense fête a été récupérée par le pouvoir le peuple et les institutions. Elle a été récupérée par la mentalité sexiste qui a prise sur tout en Russie. À quoi ressemble cette fête ? Elle est devenue superficielle. En Russie c'est tout simplement une ode à la beauté de la femme. C'est tout ! Ça s'arrête là ! Ce n'est rien que cela ! Rien de plus ! Comment faire émerger le féminisme avec un truc pareil ? Ça ne change rien aux violences domestiques qui sont un lieu commun en Russie. Les violences domestiques dans les couples sont courantes. La misogynie est un mal russe une calamité propre à la Russie comme l'est la vodka ! Alors c'est pas compliqué ! En Russie tant que la femme ne sera pas considérée comme l'égale de l'homme quand sera-t-il des gays ? On sera toujours considéré comme de la merde. Comme des moins que rien !

Je pense à maman. À ma mère. Je suis positif. Je reste positif. C'est grâce à ma mère que j'ai appris cela. Et que je suis devenu comme ça. Positif. Elle vient de loin. Elle s'en sort bien. Car elle est intelligente. Intelligent ça veut pas dire avoir fait des études comme la majorité des gens le croit. Non. C'est faire preuve d'une réelle d'une véritable ouverture d'esprit. C'est le cas de ma mère. Pourtant elle vient d'une famille difficile. Sectaire. Fermée. À tous points de vue. Elle a été élevée à la fois dans une famille et dans une communauté qui n'aimaient pas les étrangers. Et pourtant. Maman a réussi à s'en sortir. Toute seule. Sans l'aide de personne. Elle a quand même réussi à s'en sortir indemne et fidèle à des convictions. Les siennes. Toujours elle a su que c'est en allant à l'extérieur que l'on apprend le plus de choses. Ne pas se laisser enfermer par son milieu. Toujours s'ouvrir aux autres. Aux autres façons de penser. En même temps elle a voulu me transmettre ça. Cette vue des choses. Cette façon de fonctionner. Dès le début pour elle il y avait une croyance simple. Qui relève du bon sens. À la base on est tous égaux. On naît tous égaux. C'est après en fonction du pays où l'on se trouve qu'il y a un travail à faire. Avec les autres. Pour conserver cette perception des choses. Des autres. Dans le même temps et c'est cela qui est curieux comme on n'est pas tous avancé pareil elle m'a expliqué que par définition tout être humain avait droit à la fois à de l'amour et à de la compassion. Son point de vue c'est que comme on n'en est pas tous au même niveau de liberté et d'égalité il faut attendre que les autres aient les moyens d'y arriver. Que leur pays ou leur environnement leur laissent le temps et les moyens d'y arriver. Ce qui suppose bien sûr que l'on s'intéresse aux autres et que chacun dans la mesure de ses possibilités puisse apporter son soutien et son assistance à ceux qui en ont besoin.

Ce qui déjà suppose de s'intéresser à ce qui se passe dans le monde et dans les autres pays. Dans le monde entier en quelque sorte. À partir du moment où ton propre pays t'en ouvre la possibilité. Ou le champ de vision. Mais ma mère part du principe que quand on veut vraiment il y a toujours moyen de savoir comment ça se passe à l'extérieur. Et qu'il y a toujours moyen de pouvoir aider les autres. On peut toujours apporter sa propre pierre à l'édification du monde. D'ailleurs me disait-elle :

- Dimitri ! On vit pour ça ! Sinon à quoi servirait-il de vivre dans ce monde ? Et en tant qu'êtres humains quel rôle dans ce cas aurions-nous à jouer ?

Maman m'a élevé dans la croyance que tous les gens sont égaux depuis l'origine. Depuis la naissance.

- C'est un principe absolu. Imaginerait-on des animaux qui pourraient être privés de liberté dès la naissance ?

Dimitri voyons mais c'est absurde ! Dans le même ordre d'idées le racisme est tout bonnement ridicule et l'antisémitisme encore plus ! Tout le problème vient de ce que sans cesse l'homme veut s'approprier pour lui tout seul plus que ce que les autres possèdent. Dimitri l'homme en veut toujours plus que son voisin. Il est incapable de se contenter de ce qu’il possède à partir du moment où cela lui suffit. Et puis il y a en lui un fonds malfaisant et malsain qu'il ressent toujours au fond de lui le besoin d'asservir l'autre. Sans aucune raison valable. Quand bien même. Et par-dessus tout ce qui l'inquiète le plus c'est de savoir qu'il existe d'autres êtres humains différents de lui. Et ce qu'il n'aime pas c'est de ne pas savoir comment les autres vivent ! Ça il ne peut le tolérer.

Il y a autre chose Dimitri ! Les gens ne réfléchissent pas ! Ils prennent tout ce qu'ils ont au départ pour acquit ! Et on fait rien pour le leur enlever ! Dès la naissance il vive dans un contexte et un environnement où tout ce qui les entoure ça leur appartient et c'est parfaitement normal ! Et pourquoi le serait-ce ? Sous quel prétexte ? Je nais au sein d'une famille russe aristocrate qui possède de multiples haras et d'immenses propriétés terriennes. À côté de ça lorsque la gouvernante m'emmène me balader dans les chemins je regarde à côté des serfs qui s'activent à cultiver à piocher la terre pour la rendre exploitable. Pourquoi devrais-je considérer cela comme normal ? Qu'y a-t-il de normal dans ça ? Au titre de la liberté et de l'égalité entre les gens le serf dispose-t-il de ce qui lui est nécessaire pour vivre dans des conditions correctes ? Le propriétaire terrien n'en a-t-il pas un peu trop ? N'est-ce pas exagéré cette disparité entre les richesses ? Chacun y trouve-il son compte ?

C'est pour ça Dimitri ! Je crois que c est sain de toujours tout remettre en question et surtout les acquis ! Et tu verras qu'en grattant un peu derrière tout ça se cache une immense et une impitoyable injustice sociale.

Sur un autre point de vue maman ne comprend pas cette différentiation des sexes qui existe toujours dans la Russie d'aujourd'hui. Elle ne comprend pas. Ça la dépasse. Pour elle ça relève du vertige. C'est vertigineux.

Elle remet en question les rôles et les attentes de chacun des deux sexes. Avec tous les malentendus que cela génère. Les habitudes et la façon de fonctionner.

- Dimitri ! Avec tous les acquis et les habitudes engendrés depuis des siècles l'homme et la femme mettront beaucoup de temps avant de s'entendre et déjà de se comprendre ! Ils mettront une éternité avant de trouver un terrain d'entente et de posséder une vision commune de l'avenir !

Et l'homosexualité dans tout ça ? Qu'en est-il ? Qu'en advient-il ? Nous n’allons pas tarder à partir de la Russie. C'en est trop. On a peur. Nous avons peur. Nous possédons la chance inouïe de pouvoir partir. Aux États-Unis en plus. Pour nous ce sera quelque chose de complètement nouveau. De totalement neuf. Malgré la barrière de la langue. Du langage. Malgré tout ce qui peut arriver. Il faut partir. C'est indispensable. Vital. Et puis un soir avec maman je sais pas pourquoi on se retrouve tous les deux. Devant la télé. Devant un film brésilien qui traite de l'homosexualité. En demi-teinte. S'ils avaient su s'ils avaient visionné d'un peu plus près jamais ils n'auraient laissé passer ça ! Je suis surpris. Ma mère est à côté de moi. Assise. Tout prêt. J'entends sa respiration. Je sais pas pourquoi j'éprouve une gêne. Un malaise. Il n'y a pas de raison. Mais si. Il y en a une. En regardant ce sujet avec ma mère je sais pas pourquoi mais je suis terrifié ! Du coup l'effet pervers c'est que je n'ose pas regarder ma mère. Regarder ce sujet avec elle ça me met mal à l'aise. Alors je me pose la question fatidique. Va-t-elle deviner pour moi ? Va-t-elle me poser la question ? Si elle me la pose je dis quoi ? Je réponds quoi ? Je dis la vérité ? Je me cache ? Va-t-elle faire un amalgame ? Sans se poser de questions ? Sans se dire que même si je suis homo chaque homo est différent ?

Et non ! Ça se passe pas comme ça. Elle tourne la tête vers moi. Elle me regarde. Elle ne me pose pas la question directement. Elle est pudique. Elle me respecte. Rien que pour ça je lui en serai redevable toute la vie ! Elle veut pas me mettre dans la gêne. Elle me dit :

- Je comprends pas ce que les gens ont contre les homosexuels. Je comprends pas cette haine féroce qu'ils éprouvent à leur encontre. C'est à se demander s'ils ne sont pas jaloux. Peut-être de leur liberté de vue. Les gens s'imaginent tellement de choses qui sont fausses. Et erronées.

Et elle ajoute :

- Si j'avais un enfant gay je l'aimerais tout autant.

Je sais pas pourquoi mais cette nuit j'ai pleuré tout mon saoul. En fait je lui ai pas dit pour moi. Je voulais pas l'inquiéter. Hors de question de la faire flipper avec tout ce que les gays endurent en Russie ! Hors de question ! Je veux pas que ma mère s'inquiète pour moi. Hors de question. Et il me vient une drôle d'idée. C'est une lueur d'espoir. Je me dis que quoi qu'ils fassent quoi qu'ils endurent les êtres humains sont résistants. Et je suis optimiste. Je suis comme ça. C'est comme une seconde nature. Vous savez quoi ? Il y a trois valeurs en lesquelles je crois. Vous savez lesquelles ?

L'amour

Le courage

La compassion

L'amour parce-qu'on ne peut vivre seul. On ne peut vivre isolé. C'est comme ça. C'est une question de bon sens. C'est comme les animaux. C'est la vie. Le sens même de la vie.

Le courage.

Pourquoi le courage ? Le courage de dire. De penser. De faire. D'entreprendre. C'est une valeur originale. Aujourd'hui. Une valeur unique. Qui définit un être humain par rapport aux autres. Par rapport à la masse. Aux autres.

C'est celui ou celle qui ose. Qui osera dire ce qu'il pense. Ou ce que tous les autres pensent mais qu'ils n'osent pas dire.

La compassion. Et pourquoi pas la compassion comme valeur originale à laquelle je tiens ? À laquelle j'adhère ?

Parce-qu'on n'est pas tous logés à la même enseigne ! Et ce dès le départ ! Dès le commencement de la vie.

Il y en a qui vont plus vite que d'autres. Et d'autres qui vont moins vite que les autres. C'est le propre de l'être humain. On n'a pas tous les mêmes chances au départ !

Et puis les systèmes économiques et politiques ou quels qu'ils soient ne sont pas conçus pour favoriser l'égalité des chances au départ.

Qu'ils soient libéraux ou profondément démocratiques. Il y a quelque chose qui cloche. Bien-sûr. C'est normal ! Plus on travaille pour la collectivité plus l'individu se trouve lésé. Mais c'est vrai que c'est par la collectivité que l'on défend le mieux les individus !

De toutes manières pour que les peuples remontent la pente afin de favoriser une plus grande liberté aux individus il faudra plusieurs siècles ! Tous les individus ne sont pas logés à la même enseigne ! Et il existe des systèmes politiques et économiques qui engendrent de la souffrance pour leurs peuples. Je dirais même que ça va plus loin ! Un système économique ou politique est en soi oppressant par définition pour les individus. Alors dans ce cas-là je me situe comme individu. Comme simple individu à l'échelle humaine. À la base.

Et à défaut de ne pouvoir intervenir sur une grande échelle j'interviens de façon humaine. Oui ! Moi Dimitri aujourd'hui je reste et je demeure un jeune homme de vingt-deux ans qui ne demande qu'à apprendre ! Et à savoir.

C'est-à-dire avec la seule chose que je possède : la compassion ! Mais que puis-je faire d'autre ? Il faut aider les autres pays à s'en sortir ! Les êtres humains ont besoin de sentir qu'on est là. Les autres comme nous. Mais moins comment dire ? Privilégiés ?

Moi Dimitri je suis là. Je suis présent. Il faut simplement que je ne vive pas d'une façon égoïste.

L'amour le courage et la compassion sont les valeurs les plus essentielles pour moi. Ce sont les plus importantes. Ce sont celles auxquelles j'attache le plus d'importance !

À mon avis ce sont celles qui définissent un être humain à part entière. La compassion c'est une valeur et un sentiment qui te pousse à sortir de toi-même pour aller vers les autres. C'est comme ça que moi Dimitri je le perçois. Et que je le conçois.

L'être humain est un être vivant qui résiste.

Qui se bat pour les autres. Qui naturellement est porté vers les autres. Oui ! Moi Dimitri je l'affirme ! Malgré toutes les difficultés que nous les gays russes nous rencontrons dans notre pays.

Moi Dimitri j'affirme :

L'être humain de par sa nature c'est un être doté de courage et de persévérance. Un être qui combat jusqu'à son dernier jour. Qui est doté de cette nature-là. Ça le définit.

Moi Dimitri ! Je suis optimiste !

Dans le monde où l'on vit où qu'on aille quoi que l'on fasse j'ai remarqué une chose : l'amour la compassion et le courage finissent toujours par triompher.

Comment faire pour que nous les gays on ne nous oublie pas ! Il y a un moyen ! Et c'est le seul ! C'est quoi ? C'est en parler tout le temps ! Je veux dire il faut que le débat soit et reste public en permanence ! Il faut faire en sorte qu'il demeure en permanence dans l'inconscient collectif ! Il doit être considéré comme un combat parmi d'autres. Et ce combat cette lutte ça doit rester sans cesse dans la mémoire des gens. Dans l'inconscient collectif. Ouais c'est ça. Ce débat doit toujours rester actuel dans la société. Dans la conscience collective dans le débat public.

Comment ?

En continuant de parler de la condition des gays en Russie. De leur combat. Ne jamais se faire oublier ! Sinon ce serait s'autodétruire.

Ne jamais les oublier.

Ne jamais oublier le combat et la lutte des LGBT.

Toujours remettre à l'ordre du jour le combat et la lutte des LGBT dans tous les pays où ceux-ci sont opprimés.

Si on ne peut le faire dans le pays même où nous sommes opprimés et bien il faut que des actions soient menées dans les pays libres !

Il faut que dans ces pays on rappelle sans cesse et toujours que ailleurs les gays sont opprimés ! Ou risquent de l'être !

Et que cette situation peut vite devenir insupportable !

Cette situation d'oppression dans certains pays est insupportable. Elle n'est acceptable pour personne ! Elle n'est plus tolérable pour personne !

C'est un appel au secours !

Ne nous laissez pas tomber !

Ne nous oubliez pas !

Parlez de nous !

Toujours !

Sans cesse !

Sans vous lasser !

Un jour ou l'autre le pouvoir en Russie finira par reconnaître notre existence !

La société russe évoluera ! Sa mentalité changera !

Je fais appel à l'Europe occidentale et à l'Amérique ! J'ai foi en vous ! Je crois en vous ! J'espère en vous ! Je mets toutes mes espérances en vous !

J'ai confiance en vous ! Alors je réitère mon appel ! Je le recommence ! Je recommencerai autant que nécessaire ! Toute ma vie s'il le faut ! C'est nécessaire ! C'est une question de survie ! Je fais appel aux Américains ! Pour moi l'Amérique ça représente un pays de liberté ! Un des rares pays démocratiques où l'on peut parler en toute liberté ! Dire ce que l'on pense !

Alors je réitère ma demande !

Occidentaux et Américains ! Continuez de parler des gays qui vivent en Russie ! De leurs conditions de vie ! Eux-aussi ont le droit de parler d'eux ! De revendiquer leur droit à la vie ! À ce qu’ils sont !

! Il y a plusieurs moyens pour ça !

Parlez à vos amis. Parlez de tout ça à vos amis ! Eux-mêmes en parleront à leurs propres amis ! Et c'est comme cela que les choses avanceront !

Parlez aux gens ! À tous ceux que vous connaissez !

Faites passer l'information ! Transmettez !

Écrivez ! Tweetez ! Parlez-en sur Facebook ! Ne restez pas isolés ! Si vous connaissez des Russes si vous avez des amis russes parlez-en avec eux. Ils vous expliqueront.

Interpelez vos sénateurs ! Vos députés ! Les politiques ! Vos élus !

- Mais on leur dit quoi ?

- Tu leur dit que vous êtes inquiets de la situation des minorités en Russie. Des gays en particulier ! Tu leur dit qu'il est urgent de faire quelque chose !

- Tu crois que c'est suffisant ? Que ça va suffire ? Que c'est suffisant ?

- Non ! Il y a un autre moyen ! Et celui-ci est d'envergure !

- C'est-à-dire ?

- Boycottez les produits russes !

- Mais pourquoi ? C'est quoi le rapport ?

- Il y a un rapport !

- C'est quoi le rapport ?

- Toutes les entreprises russes travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement russe. Avec les autorités. Elles sont toutes étroitement liées au gouvernement. C'est la nature du système à la soviétique. C'est différent des États-Unis. En Amérique les petites entreprises sont libres. Entièrement libres. Elles sont libres de poursuivre leur propre ligne de conduite. Bien-sûr elles sont soumises à une concurrence sans pitié. Mais elles sont libres de décider de ce qu'elles veulent faire. Sans rendre de compte à qui que ce soit. À partir du moment où elles respectent scrupuleusement la liberté des individus.

- Dimitri ! Tu parles que des petites entreprises ! Des Pme ! Et les autres boîtes ? Les grosses entreprises ?

- Même les grosses firmes aux Etats-Unis ont un rôle à jouer ! Chez les Américains certaines grosses boîtes se préoccupent du sort de certaines minorités. Il leur arrive parfois d'effectuer des donations énormes pour la défense des minorités. On ne sait pas tout ! En Amérique les minorités les plus visibles ce sont les Mexicains les noirs les hispaniques les populations défavorisées !

Pour les LGBT peut-être c'est moins évident ! Alors il y a quelque chose à faire !

En tout cas concrètement aujourd'hui et dès maintenant il y a quelque chose de très précis à faire aux Etats-Unis !

- C'est quoi !

- C'est quoi ? Il faut inciter Boeing et Microsoft à arrêter de sous-traiter leur production en Russie ! Il faut qu'ils arrêtent de s'associer avec des partenaires et des entreprises russes ! C'est ça la solution ! C'est peut-être là l'unique moyen de pouvoir réagir avec efficacité pour les droits des gays et des lesbiennes !

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