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Lan Yu
7 janvier 2023

David

Je m'appelle David. Je suis capitaine. Je suis américain. J'ai passé neuf ans de ma vie prisonnier des Vietcongs pendant la guerre du Vietnam. C'est la durée de détention la plus longue pour un prisonnier de guerre américain. C'est aussi la plus longue de toute l'histoire des États-Unis.

Mon histoire c'est celle d'une résistance physique et mentale.

Je possède un atout majeur : la volonté et l'espoir.

L'espoir d'un jour meilleur me permettra de surmonter des années de sévices.

Mon histoire c'est aussi celle de mon couple. Avec José. C'est la perte de l'homme que j'aimais le plus au monde. Un Mexicain.

Cette perte a présenté pour moi un calvaire insurmontable. Pire que tout ce que j'ai pu endurer.

Moi David j'affirme qu'un homme peut survivre à une guerre effroyable. Mais je dis aussi que ce même homme peut capituler quand il apprend que son ami a trouvé quelqu'un d'autre.

Mon histoire c'est aussi celle d'une tranche du XXème siècle.

Ou comment l'emballement de la Guerre froide conduit un très beau pays d'Extrême-Orient à devenir le cimetière de milliers de jeunes hommes.

En l'espace d'une décennie.

Ce pays dont je parle c'est le Vietnam. Une contrée à la culture millénaire.

Je vais vous raconter comment des routes du New Jersey j'en suis arrivé à l'enfer d'Hanoï Hilton.

Je suis originaire de Bergenfield dans le New Jersey. Je m'enrôle dans l'armée en 1956. J'ai 23 ans. Je suis diplômé. C'est à cette période que par l'intermédiaire d'amis je fais la connaissance de José. Mon amour de toujours.

Au début des années 1960 je suis recruté dans les forces spéciales. Les fameux Bérets Verts.

En 1963 je suis envoyé au Vietnam.

Un an plus tard les États-Unis s'engagent dans la guerre contre le Vietnam communiste. Je me retrouve à la tête d'une équipe de 11 hommes à Khe Sanh. C'est une des régions les plus isolées au Sud-Vietnam.

Quelle est ma mission ?

Elle consiste à endiguer le flot d'infiltrés nord-vietnamiens qui arrivent du Laos voisin.

Un jour de Mars 1964 je me porte volontaire comme observateur sur un petit avion de reconnaissance. Celui-ci porte un nom : Cessna Bird Dog.

Nous survolons le territoire ennemi. Je demande au pilote de voler plus bas pour prendre des clichés.

Soudain des tirs de mitrailleuses proviennent du sol. Ils touchent de plein fouet le moteur de l'avion. À partir de là tout va très vite. L'avion s'écrase au sol. Le pilote est tué sur le coup.

Son corps ne sera jamais retrouvé.

Moi une balle m'a traversé la joue. J'ai des brûlures sur tout le corps. Et je souffre d'une fracture dans le dos.

Je me réveille au milieu de la jungle. Je me trouve face à un milicien Vietcong. Il me croit mort. Avec une machette il s'apprête à me couper le majeur de la main droite. Il veut récupérer l'alliance en or que je porte. Cadeau de José.

Je trouve la force de me dégager. Je retire promptement l'alliance pour la remettre au Vietcong. Je veux garder la vie sauve. Et mon doigt.

Je suis fait prisonnier par les Vietcongs.

L'enfer va commencer.

J'ai 31 ans.

Pendant quatre ans je me trouve dans un camp au milieu de la jungle. Isolé du reste du monde. Je n'ai aucun contact avec les autres prisonniers.

Mes geôliers me torturent.

Ils m'obligent à affirmer à la radio que je suis bien traité. Ils me forcent aussi à dire que l'intervention américaine au Vietnam est infondée.

Les Vietcongs pratiquent sur moi le supplice de l'estrapade. C'est une technique de torture qui date de l'Inquisition espagnole.

Ils m'attachent les bras derrière le dos. Il me pendent à une poutre. Ça provoque une douleur atroce.

J'ai l'impression que ma poitrine va s'ouvrir en deux.

Ça ne s'arrête pas là.

Pendant quatre mois ils m'enferment dans une petite cage dans laquelle je ne peux ni m'asseoir ni m'allonger.

Mes fers sont retirés 10 minutes par jour. À chaque fois qu'ils sont revissés ils labourent ma chair.

Ma peau est en lambeaux.

Les années s'écoulent. Interminables.

À Noël 1967 les gardes retirent mes chaînes. Ils m'attribuent un arbre. Sous la forme d'une branche de pin. Je décore cette dernière avec des bouts de papier. Pour fêter Noël.

Et croire à l'espoir.

Je suis en état de sous-nutrition. Ce qui déclenche une crise cardiaque.

Par miracle je m'en sors.

Trois mois plus tard j'attape la Malaria. Je m'en sors aussi. J'enchaîne les épreuves les unes après les autres.

Chaque matin je ferme les yeux. Je me dis : " Un jour de plus de gagné. C'est tout ce qui compte. "

À plusieurs reprises je tente de m'échapper. J'entrevois la liberté. À chaque fois ils me rattrapent.

Ils me frappent pendant douze heures d'affilée avec des branches de bambou.

La douleur est intolérable.

En 1968 mes geôliers me transfèrent dans le camp d'Hoa situé dans le Vietnam Nord.

Il est situé près de la ville d'Hanoï. Ironiquement il est baptisé " Hanoï Hilton " par les détenus américains.

Pour la première fois depuis quatre ans je parle enfin à des camarades.

L'isolement est terminé mais les mauvais traitements continuent.

En 1973 dans le cadre de l'opération " Homecoming " je peux rentrer chez moi.

Arrivé sur place plus de José. Où se trouve-t-il ? Il a refait sa vie. Avec qui ? Je l'ignore. Je ne le saurai jamais.

Pendant neuf ans il n'a eu aucune nouvelle de moi.

Sept ou huit mois après ma disparition un voisin de José l'a appelé pour lui dire qu'il pensait avoir reconnu ma voix à la radio. Comme quoi j'aurais fait une déclaration pour défendre le Nord Vietnam contre l'agression américaine. José se renseigne. L'armée ne sait rien.

Je suis considéré comme étant disparu.

J'ai eu des nouvelles de José. Il s'est senti seul. Démuni et désemparé.

Il a commencé une nouvelle vie avec un autre garçon. Un militaire. Un sergent. Ils se sont installés dans la maison de ce dernier au Massachusetts.

Pour José et pour l'Amérique je suis porté disparu au Vietnam.

Alphonse Daudet disait : " Le prisonnier voit la liberté plus belle qu'elle n'est ".

Je reviens aux États-Unis.

Je suis un homme broyé. La dépression m'envahit. Je sombre dans l'alcoolisme. Je souffre d'insomnies. Je pense au suicide à chaque minute.

En 1981 le sort s'acharne une nouvelle fois. Je subis un accident vasculaire cérébral qui me laisse dans le coma pendant six mois.

J'en ressors en partie paralysé.

Les dernières années de ma vie je les passe à Key West en Floride. C'est une petite maison en face de la plage. Je suis seul.

Mais je conserve mon humour. Ca me fait tenir.

Je possède une vieille Cadillac. Elle est toute pourrie mais elle fonctionne. Elle représente le seul plaisir dans ce qu'il me reste dans la vie.

J'adore rouler des heures entières seul sur la route.

Sur la plaque de ma bagnole figure le drapeau américain et aussi le sigle : POW. Prisoner of war (Prisonnier de guerre).

Pour l'état américain je suis un ancien prisonnier pour le reste de mes jours. Finalement je me dis que ce sont eux qui ont raison.

J'ai d'abord été prisonnier des Viets. Puis celui de l'alcool. Et pour finir celui de l'abandon.

Mais je n'éprouve aucun ressentiment pour l'armée américaine. Ni pour personne. Ni pour José. Nous étions si jeunes. Je le comprends.

Mais je l'aimerai toute ma vie.

Chaque matin en me levant je regarde la plage.

Et je conserve ma fierté d'ancien militaire. Et de vétéran de la guerre du Vietnam.

Ça me permet de tenir.

Un jour j'espère que je recevrai la Médaille d'Honneur du Congrès. C'est la plus haute distinction militaire.

Et puis j'espère être enterré au cimetière national militaire d'Arlington. Il se trouve en Virginie.

Je n'obtiendrai jamais cette reconnaissance ultime.

En 2002 j'ai 69 ans. Je décède d'une crise cardiaque. Mes cendres sont dispersées dans l’Océan Atlantique.

Cela suffit à mon accomplissement. Je suis retourné entre les mains de mon créateur.

David.

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