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Lan Yu
7 janvier 2023

Bangkok

Bangkok. Ville sombre. Ville grandiose. Ville éclairée. Ville de lumière. Luminosité glauque, opaque. Qui empêche de bien voir. Impossible de profiter d'un rayon de soleil. La pollution filtre tout. Ruelles sombres. Humidité dévorante qui s'insinue sous la plante des pieds. Gratte-ciels sans fin. Ciel nuageux dans lequel tout en haut, les nuages circulent à la vitesse de la lumière.

Yon et Pierre vivent sur le toit d'un immeuble. Ce sont des parias de la société thaïlandaise. Ils sont tenus à l'écart, marginalisés, refoulés par la société ... Ils se sont connus en Enfer. Dans l'enfer de la drogue. La violence. L'enfer des gangs. Pendant leur jeunesse, chacun a vécu dans un gang de la banlieue de Bangkok. Les gangs se faisaient une guerre perpétuelle. Ils ont grandi avec, dans, et par les gangs. A la petite semaine qui les ont façonnés. Les combats se livraient à la machette ou au pistolet. Les combats de rue ne s'arrêtent jamais.
Le plus souvent, ils avaient lieu dans les ruelles sombres qui bordaient les ceintures d'autoroutes.

Tous les gangs venaient de la banlieue pour livrer combat sur les esplanades et dans les terrasses de café. Dans les rues, les habitants ne voient rien.

Ils font semblant de ne rien entendre. Ils n'ouvrent même pas les volets quand un appel au secours déchire le silence. De la nuit. Ou de l'après-midi où nul passant n'apparaît. La terreur ... Qui ne s'arrête jamais ou qui finit au milieu de la nuit.

Aujourd'hui, Yon et Pierre font tout pour s'en sortir. Ils veulent s'amender auprès de la société. Auprès des autres. Ils n'y arrivent pas. S'intégrer à la société. Aujourd'hui, ils survivent grâce à de petits boulots. Travaux d'un jour, le plus souvent.

La réalité les dépasse. Ils sont submergés. Elle les rattrape. Quoiqu'ils fassent, on ne veut pas d'eux. Drogue. Dealers. Contrefaçon, aussi, sur les docks, la nuit. Jusqu'au lever du jour. Il faut revendre à tout prix avant l'aube. Exporter. Ateliers clandestins qui fourmillent d'êtres humains. Les immigrés travaillent comme des esclaves. Des travailleurs qui, depuis quelques temps, sont déversés par dizaines, sur la rive, la plage et le port, par bacs entiers. Survivre, beaucoup de bouches à nourrir ...
Dizaines de travailleurs clandestins qui ne veulent pas mourir. Qui n'ont d'autre choix, que travailler jusqu'à épuisement de leurs forces. Exploités par des contremaîtres sans scrupules, des gens, en définitive, comme Yon, qui cherchent un moyen de se donner bonne conscience en se disant qu'ils font ça jusqu'à temps de trouver un travail honnête. Quelque chose de moins dégueulasse. En vérité, cette situation perdure depuis des années. Ils le savent bien eux-mêmes. Tous les jours, Yon et Pierre frôlent la mort.

Survivre. Coûte que coûte. Toujours. Poursuivis par le passé. Par leur passé. Incapables de dépasser ça ...

Ils essayent de construire quelque chose ensemble. Tous les deux. Découverte l'un de l'autre. L'autre de l'un. Ils sont pas faits comme les autres. C'est parti brutalement. Un soir, démunis. Yon a découvert Pierre. L'amour plus fort dans la tourmente. Il l'a emprisonné avec ses bras musclés. Avide de son corps, avide de son sexe. Il s'est découvert, démuni sans poser de questions. Pierre a compris ce qu'il voulait.

Yon a pris Pierre, par derrière, avec une violence inouïe. Viol. Pierre n'a pas résisté. Il a laissé faire. Il a aimé cette démonstration d'amour violent. Il est habitué à la violence.

Se reconstruire. Pas facile. Les antécédents, le passé perdurent. Ne s'effaceront jamais. Le passé, lui, n'oublie jamais. Il vous rattrape. Un jour ou l'autre. Actions passées calamiteuses. Qui vous poursuivent toujours. Elles rattrapent Yon et Pierre. Yon est toujours recherché par un gros dealer de la pègre. Yon n'a toujours pas réglé son dû. Le caïd n'a pas oublié.

Il le pourchassera jusqu'à sa mort.

Depuis plusieurs années, Pierre, premier avocat au barreau de Bangkok dans les années 2000, est recherché par la police pour une affaire de corruption. Il s'est laissé tenter, comme tant d'autres, par l'argent facile.

Il le regrette aujourd'hui. Ca sert plus à rien. Gros revenus. Grand train de vie. Forcément, ça crée des jalousies. Ou des malentendus. Le racket n'est jamais très loin. Pierre n'a pas voulu jouer le jeu. Le traître. On a voulu lui faire payer le prix fort. Depuis quelques années, il cherche à effacer sa trace. Impossible. Ils le retrouvent toujours. Le passé est toujours là, présent, insidieux. Pierre sait trop de choses maintenant. Sur la corruption des milieux d'affaires thaïlandais. Sur la corruption politique.

Mais ils veulent s'en sortir. Encore. Toujours. Inépuisables. Yon et Pierre se font passer pour morts depuis trois ans. Chaque jour, ils vivent dans la hantise qu'on les retrouve. Qu'on les démasque. Qu'on les descende. La trouille. Ne plus jamais revoir sa famille. Pour ne pas la mettre en danger. Ils s'endorment avec la peur. Ils se réveillent avec. Elle est toujours présente.

Les tueurs à gage font le gué à tour de rôle. Lorsque Pierre descend l'escalier en métal qui serpente à l'angle de l'immeuble, il se glisse tel un chat silencieux et méfiant dans les ruelles étroites, sombres, qui jouxtent l'immeuble. Ombre humaine insaisissable. Voler de la nourriture pour manger. Pour rester en vie. Malgré tout. Ne jamais se laisser surprendre. Ils vivent dans cette masure sur le toit depuis trois ans. Trou à rats fixé sur ce maudit toit. Yon et Pierre oubliés de tous, familles et amis. Seuls. Toujours seuls.

Même leurs familles ne savent plus rien d'eux. Elles ne savent pas où ils sont. S'ils sont toujours vivants.

Bangkok, ville de lumière. Aux multiples facettes. Bangkok, ville aux feux d'artifice qui ne s'arrêtent jamais ...

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